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Quartier Saint Jean-Baptiste à Québec

Comité populaire !

Le jeudi 15 mars 2001.

Nicolas est membre du groupe anarchiste Émile-Henry à Québec. Il est aussi salarié du Comité populaire Saint Jean-Baptiste comme organisateur communautaire. Le quartier Saint Jean-Baptiste est un vieux quartier populaire du centre de Québec, d’environ 9 000 résidents. En ces temps d’élections municipales, il est bon de montrer que d’autres formes d’implication dans la commune existent loin de toute délégation de pouvoir. Ici comme ailleurs, les populations locales s’auto-organisent afin de prendre en main leurs affaires, de gérer la ville elles-mêmes. À l’occasion du congrès de la NEFAC (la Fédération anarcho-communiste du Nord-Est des Amériques) nous avons rencontré Nicolas afin qu’il nous parle un peu plus de l’organisation et des actions du Comité populaire.



Le Monde libertaire : Peux-tu nous présenter le Comité populaire Saint Jean-Baptiste ?
Nicolas :
Le comité ns dans le quartier Saint Jean-Baptiste. Officiellement, on existe pour défendre les droits sociaux, politiques, culturels et économiques des résidents du quartier. Dans les faits, on met surtout l’accent sur le soutien aux ménages à faibles revenus. On représente un peu l’opposition officielle dans le quartier. À chaque fois que quelque chose ne marche pas avec la ville, les gens viennent s’adresser au Comité pour parler de leur problème et recueillir des avis. Quand il y a un problème, on tente de rassembler les gens qui sont intéressés pour travailler sur la question, pour développer une stratégie et pour intervenir. C’est la devise « voir, juger, agir » qui est en action là-dedans. Notre action quotidienne, en dehors des problèmes précis, touche surtout la promotion du logement social, notamment par la tenue d’une permanence où l’on organise les projets de coopératives d’habitation.

On a un journal, l’Info-bourg, qui est diffusé de porte à porte à 7 000 exemplaires. On organise un programme de conférences hebdomadaires, dans le cadre de ce que l’on appelle « l’Université populaire », où il y a en général une vingtaine de personnes.

En dehors de cela, nous avons toujours une lutte de réaménagement urbain en rapport avec le quartier. Dans les dernières années, il a fallu qu’on se batte et qu’onfasse pression pour garder un bureau de poste ouvert. On s’est battu pour faire valoir une vision pro-piétons et pro-transports en commun, pour qu’il y ait le réaménagement d’une autoroute qui passe dans le quartier. Cela a été des dossiers importants. D’autres actions se sont faites contre des hôtels, pour l’implantation d’espaces verts, de parcs, etc.

ML : Comment est organisé, comment fonctionne le Comité populaire ?
N :
Notre structure est démocratique. C’est une assemblée générale annuelle qui élit un conseil d’administration, qui gère les choses pendant l’année. Pour les décisions graves il doit y avoir une assemblée générale. Il y a aussi des comités permanents qui gèrent notre journal et l’Université populaire.

L’activité des libertaires a justement été d’apporter des réformes structurelles, notamment de donner plus d’autonomie aux différents comités, c’est-à-dire qu’on a doté les comités de structures, de chartes, pour que ce soit plus formalisé et organisé réellement, que ce ne soit pas toujours la même coterie qui fasse les trucs. On a mis aussi en place une assemblée hebdomadaire de militants qui n’est pas décisionnelle mais qui a un poids énorme parce que c’est eux qui font le travail concret.

ML : Quelle est l’influence et le poids du Comité dans le quartier ?
N :
Nous sommes cent et quelques membres cotisants. Si on compte tous les sympathisants, on arrive à environ 300 personnes. Quant à l’influence que l’on a, quand on fait des assemblées sur un thème local, il y a en moyenne entre 70 et 100 personnes. Dans un quartier, quand il y a 75 ou 100 personnes qui viennent à une assemblée publique et qui sont toutes d’accord dans le même sens, ça représente quelque chose. On a aussi un poids historique, un poids réel de mobilisation. Au sein du comité, il y a un noyau de 25, 30 militants actifs qui travaillent autour du journal, de l’organisation, du programme d’éducation populaire.En période de lutte, ça peut monter facilement jusqu’à 70 ou 75.

On organise aussi une fête de quartier où il y a près de 20 000 personnes qui passent. On a aussi cette capacité organisationnelle d’aller directement dans la boite aux lettres des gens six à huit fois par années grâce à notre journal. Par rapport à notre journal, il y a eu une étude qui disait qu’il y avait 49,4 % des gens du quartier qui disaient lire notre journal. C’est plus que tous les quotidiens.

ML : Quelle est l’origine et les évolutions du Comité ?
N :
Le Comité populaire est né en février 1976 dans une assemblée générale des gens du quartier suite à un processus de démolition de logements dans les quartiers populaires pour mettre des autoroutes, des grandes tours à bureaux, etc. Il y a eu une lutte très dure pour sauver les maisons, impulsée par des militants vivant dans le quartier. Ils ont proposé à l’époque un programme de coopérative d’habitation, c’est-à-dire acheter toutes les maisons de certaines rues et les autogérer en propriété collective. C’est la coopérative d’habitation, qui est une forme de logement social qui n’existait pas vraiment à l’époque. Ils ont gagné cette lutte là. Après, petit à petit, le comité est devenu à la grandeur du quartier.

À la fin des années 70, au début des années 80, il y a eu une crise, une lutte interne entre les marxistes léninistes maoïstes et des militants progressistes mais plus autonomistes, qui voulaient garder l’autonomie du mouvement populaire. L’ensemble des gens du quartier a eu une grande réflexion. Ils ont commencé à vouloir développer un plan pour l’ensemble du quartier, à proposer des alternatives viables. Dans la première partie des années 80, Il y a surtout eu des luttes pour l’implantation d’espaces verts, la continuité des luttes sur le logement social, les coopératives d’habitation, etc. Le comité était beaucoup moins fort qu’il l’avait été.

De la fin des années 80 jusqu’au milieu des années 90, il y a eu une période très « groupes communautaires traditionnels », mollo, gentils, avec la spécificité par contre de vouloir vraiment avoir un contrôle local. Mais ces militants se sont embarqués dans l’expérience du Rassemblement populaire qui peut être vu au niveau municipal comme l’expérience socialiste en France au début des années 80 autour de l’Union de la gauche. Ils pensaient aussi qu’ils allaient changer la vie par le pouvoir municipal. Ils se sont embarqués là-dedans, ils ont présenté des candidats et ont gagné les élections. Ils ont ensuite favorisé l’établissement de conseils de quartiers, une instance consultative sur le quartier faisant un plan de développement du quartier. Le comité populaire est rentré dans cette logique de cogestion, mais aussi avec des municipalistes libertaires qui voulaient pousser le bouchon plus loin. Finalement, ça a échoué. Cela a été un échec lamentable. On voulait être consulté pour les grandes questions et eux ils voulaient nous consulter pour la couleur de l’emballage, pour savoir si on mettait une boîte à lettre là ou là.

Ensuite, au milieu des années 90, il y a d’autres gens qui sont venus dans le quartier. Ils ont amené une perspective plus sociale et politique et une critique des expériences précédentes. Ils ont commencé en disant : « cette année on n’appuiera pas officiellement le Rassemblement populaire aux élections, on va appuyer un candidat indépendant. L’année d’après on n’appuie plus personne du tout et on fait une campagne abstentionniste ».

Il y a dix ans, l’université populaire a été mise en place ainsi que l’Info-bourg, dans une dynamique de bâtir une contre-information dans le quartier. Au début, c’était des activités très périphériques au comité, très parallèles. Elles sont finalement devenues le cadre de l’action du Comité. L’Université populaire a amené un renouvellement des militants.

En 1995, 96, 97, il y a eu beaucoup de luttes anti-libérales et contre les coupures dans les programmes sociaux. On a hérité de ce refus, de ces luttes dans les milieux étudiants, dans les milieux syndicaux, etc. En fait, il y a eu un paquet de gens qui ont voulu réfléchir à tout cela et qui sont venus au Comité. Dans les cinq dernières années, la moyenne d’âge est passée de 50 ans à moins de 30 ans. Aujourd’hui, on a triplé le taux de participation aux assemblées générales.

ML : Quelle est la place des militants libertaires dans cette dynamique aujourd’hui ?
N :
Il y a des militants organisés qui se sont impliqués au Comité populaire, notamment du groupe Émile-Henry, dont moi. Le travail que l’on a fait était avant tout centré sur l’Université populaire. On voulait un lieu pour développer une perspective radicale, en étant lié avec des gens qui ne pensaient pas comme nous, dans une logique d’implantation sociale. Avec les débats, les gens ont commencé à se poser des questions. Beaucoup de gens qui étaient sur des positions de gauche, de gauche générique, ont adopté des positions plus libertaires. Il y a des gens qui ont adhéré au Comité et qui ont soutenu nos positions, ce qui nous a donné du poids.

On est aussi avantagé parce que maintenant des trotskistes, des communistes il y en a plus beaucoup. De plus, ces groupes ont une vision d’intervention de masse, mais une vision mythique des masses. Quand il y a des gens capables de réfléchir et d’être autonomes en face d’eux ils ne savent plus quoi faire. Le Comité populaire a accepté d’être composé de gens qui se cherchent et qui se posent des questions. De là on s’est impliqué dans des luttes et dans des projets. Petit à petit on est rentré au conseil d’administration, puis dans l’exécutif. On s’est impliqué dans des comités et on a convaincu des gens. Le Comité s’est radicalisé tranquillement. Finalement, il y a trois ou quatre ans, le Comité a engagé un anarchiste comme organisateur communautaire. Mon travail est de coordonner les différentes initiatives.

Propos recueillis par David. — groupe Kronstadt (Lyon)