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Un Poète est mort

Henri Chassin
septembre 1964.

Ça a commencé sur le flanc d’un coteau d’où Villon, mélancolique, contemplait les fourches du roi dressées à Montfaucon, ça c’est terminé sur le flanc d’un autre coteau où le bon roy Henri apprenait à l’abesse un évangile auquel le concile de Nicée n’avait pas donné l’imprimatur. De Belleville à Montmartre le chemin fut long pour Chassin qui le parcourut la lyre sous le bras et la révolte au cœur. Il a fallu plus de quatre-vingts ans pour que ce grand corps noueux mais resté droit malgré les orages et la neige qui le couronnait accomplisse ce parcours que des bornes jalonnaient ! Des bornes ? Chassin fut déserteur en 1914, gréviste pendant le grand mouvement des cheminots de 1920, poursuivi pour complot contre la sûreté de l’État. D’autres bornes. Machin de Belleville, un recueil de poèmes où la chaleur des cœurs fendille la misère qui couvre le quartier d’une épaisse carapace. Le Théâtre populaire, le Cabaret.

Chassin est parti. Le Paris populaire qu’il avait chanté était vide, le petit peuple qu’il aimait avait repris sa quête annuelle pour trouver le soleil, ce soleil que Chassin avait glissé parfois dans sa strophe comme une promesse de bonheur. Pourtant Chassin ne sera jamais complètement absent car nous redirons de ses vers, là haut, sur cette butte qu’il a tant aimée. Nous évoquerons sa voix grasse qui prenait la suite de celles de Couté, de Rictus, du tonnelier Adam, et lorsque nous assisterons à nouveau à la naissance d’un poète populaire la gorge serrée par la révolte et le cœur épanoui par la tendresse nous saurons qu’il s’inscrit à l’extrémité d’une chaîne dont Chassin fut le dernier maillon et nous saurons aussi que pas plus que ceux qui l’ont précédé, Chasson n’est tout à fait mort, car la poésie est éternelle.

Maurice Joyeux