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José Salamé

une belle leçon de vie
Le jeudi 20 septembre 2007.

Daniel Guerrier, ancien de la FA, de l’OCL-I et II, du SCI et de l’AUI, toujours coéditeur de Spartacus, qui a souvent croisé José Salamé et s’en est retrouvé voisin depuis 2004, avec l’aide de Marie-Louise et Georges Fontenis, de Madeleine Bossière, de Roger Paon, de Gilda Marcès, de Bernard Ferry, de Gilbert Roth et d’Hortensia Inés Torres



José Salamé Miró est décédé à l’aube de sa 88e année, à Perpignan, le 18 juin 2007, deux jours après la fête annuelle de la CNT 66, que, pour la première fois, José n’a pas honoré de sa présence. Il était né le 8 avril 1920 dans la petite bourgade de Vinebre sur les rives de l’Èbre dans la province catalane de Tarragone et vécu dès son enfance avec sa famille à Barcelone. José qui fut enfant de chœur s’orienta pourtant rapidement vers les idées anarcho-syndicalistes. Son père, ouvrier sellier bourrelier sympathisant de la CNT, fréquentait l’athénée libertaire du quartier. José adhère à la fois à la CNT et aux Jeunesses libertaires de la FIJL.

Le 19 juillet 1936, il participe aux combats révolutionnaires contre les militaires factieux dans les rues de Barcelone ; il est témoin de la mort de Francisco Ascaso, compagnon de Buenaventura Durruti et membre de Los Solidarios, dans les premiers assauts contre les casernes insurgées. Il s’engage ensuite dans la défense de la république contre le coup d’État militaire comme jeune milicien dans la colonne Durruti (CNT-FAI), en mentant sur son jeune âge pour y être enrôlé (il a 16 ans, mais est grand et costaud !) et part pour le front de Saragosse. Après quelques mois il rejoint la colonne Ascaso (CNT-FAI), plus au nord en Aragon, où il retrouve des cousins. En 1938, il doit intégrer l’armée républicaine en reconstruction dans le cadre de la classe des plus jeunes, la « classe biberon » et est bombardé lieutenant à son corps défendant, sous le contrôle d’un capitaine communiste. Il participe à la bataille de l’Èbre de juillet à novembre 1938, qui fit plus de 30 000 morts. Il sera blessé à la fin de la guerre près de Huesca et entrera à pied en France par le Perthus lors de la Retirada le 6 février 1939, blessé au visage et au bras, avec la gangrène. Après une première intervention d’urgence à Perpignan, il sera transféré à l’hôpital de Vannes pour y être soigné, puis découvre « hospitalité française » au camp d’Agde où il restera d’avril à septembre 1939.

De septembre 1939 à 1942, il sera recruté comme ouvrier agricole dans la région d’Orléans. (Il racontera souvent plus tard aux amis proches les méthodes de recrutement des réfugiés espagnols ainsi que la vie quotidienne dans ces grandes fermes de Beauce.)

Il est ensuite recruté de force par l’organisation nazie Todt et affecté d’abord à la construction de la base sous-marine de Bordeaux, puis du Mur de l’Atlantique à Lorient où il échappe aux bombardements alliés. (Plus tard lors de vacances communes avec les Fontenis, il retrouvera avec émotion la maison de Quimperlé où il séjourna à cette époque.)

Lors de l’entrée dans Paris, le 24 août 1944, des premiers blindés de la 2e DB sous les ordres du capitaine Dronne, dont les servants sont des anarchistes espagnols qui avaient rejoint Leclerc en Afrique, José et des compagnons de la CNT les accueillent et se mettent à rêver à nouveau à l’insurrection révolutionnaire ; ils seront très dépités par leurs compatriotes refusant de les armer sur le champ au nom de la discipline militaire et de la nécessaire bataille d’Allemagne.

À la Libération il suit une formation d’électricien à Paris et travaille dans ce secteur jusqu’en 1948. Après y avoir défendu des ouvriers arabes, il se retrouve au placard (dans une armoire électrique !). Et le délégué CGT de l’entreprise, stalinien, fait courir le bruit que le réfugié anarchiste qu’est José est un agent de Franco (calomnie fréquente à l’époque à l’encontre des compagnons liber-aires, des camarades du POUM et des trotskistes espagnols de la part du PC).

À la même époque, José rencontre Renée Desvaux, jeune secrétaire de « bonne éducation », née en 1912 (pupille de la nation, elle avait été élève de l’école de la Légion d’honneur) qui fréquentait les milieux « ajistes » depuis les années trente (Madeleine Bossière, anarchiste, fit sa connaissance en 1934 à Boulogne-Billancourt et deviendra avec Roger, son compagnon décédé en 2006, leurs grands amis). Renée, qui fut durant un temps influencée par le PC, participa à la résistance à Lyon dans les réseaux autour des Camarades de la route. Elle deviendra son épouse en décembre 1948.

La rencontre de José avec Georges Fontenis, figure du communisme libertaire, date de 1945 à l’occasion d’une réunion organisée par la Fédération anarchiste au sujet des Auberges de jeunesse. Passionné par cette activité de rencontres et de solidarité internationale, il travaillera toute sa vie professionnelle comme aide, cuisinier ou « père aubergiste » adjoint dans les Auberges alors notablement influencées par les libertaires. Contrairement aux apparences José ne sera jamais « père aubergiste » en titre du fait de son statut de réfugié apatride. Il souhaitera en 1970 se faire naturaliser français, ce qui sera dans un premier temps refusé par les autorités françaises, mais soumis à un chantage infâme, à la délation, José ne cherchera plus à donner suite ; il récupérera sa nationalité espagnole beaucoup plus tard après la mort de Franco. Renée prendra les responsabilités de « mère aubergiste » pour tous les deux en quelque sorte. Ensemble ils animeront, dans le cadre de la Fédération unie des auberges de jeunesse (FUAJ), l’Auberge de Cannes de 1948 à 1957. Celle-ci, située dans une partie remise en état du fort de l’île Sainte-Marguerite (ancienne prison du Masque de fer et ultérieurement de rebelles kabyles) était fréquentée par des jeunes du monde entier, et abrita de nombreuses réunions espagnoles et internationales.

Durant l’été 1949, les débats lors du camp de formation de la Fédération anarchiste qui s’y tenait aboutiront à la formation en janvier 1950 d’une tendance communiste libertaire interne quasi clandestine, la fameuse Organisation Pensée Bataille (OPB, en hommage à Camillo Berneri, anarchiste italien assassiné en Espagne en mai 1937 par les staliniens). Les activités de l’OPB et leur dévoilement en 1954 provoqueront la grave déchirure du mouvement libertaire en France entre, en simplifiant, « plateformistes » dans la ligne d’Archinov et « synthésistes » à la suite de Sébastien Faure (déchirure qui n’est encore aujourd’hui qu’en voie de cicatrisation, le renouvellement générationnel aidant). Mais José n’a pas personnellement pris part à la création de l’OPB et n’en sera pas membre tout en étant proche de ses fondateurs, Georges Fontenis et Serge Ninn entre autres. Un militant algérien, Doukhan, participera aussi à ces discussions et sera avec Léandre Valero et Guy Martin (au Maroc), en 1951, à l’origine de la création du Mouvement libertaire nord-africain (MLNA), lequel jouera un rôle non négligeable lors du déclenchement de l’insurrection algérienne le 1er novembre 1954.

José fera un séjour en Israël au début des années cinquante, enthousiasmé par les kibboutz qui lui rappellent les collectivisations de Catalogne et d’Aragon. Mais devant le racisme anti-arabe ambiant, la militarisation de la société israélienne, et se rendant compte que les terres des kibboutz ont la plupart du temps été confisquées aux Palestiniens, José en revient très amer et très remonté contre le projet sioniste.

Renée et José finiront, à partir de 1957, leur « carrière » d’« aubergistes » à l’Auberge de Nice (route forestière du mont Alban), aidés un temps par Gilda Marcès, fille d’un anarchiste espagnol immigré en France, rentré au pays dès 1936 et disparu lors de la guerre civile. À partir de 1966, ils habiteront leur maison d’Eze tout en continuant à gérer l’Auberge.

Durant toute cette période, Renée et José, proches du groupe anarchiste de Nice, autour de Roger Paon entres autres, et des révolutionnaires d’origine suisse Pavel et Clara Thalmann installés à Nice depuis 1950, furent très actifs, menant par exemple des actions de solidarité avec la grève de la faim de Louis Lecoin, pour l’objection de conscience en 1962.

José, comme Simone et Roger Paon, sera très impliqué dans le groupe local du Service civil international (SCI, association de solidarité internationale active créée après la 1re guerre mondiale par des pacifistes, qui s’illustra entre autres dans l’aide aux enfants espagnols sur place durant la Révolution espagnole et dans l’exil, comme à la maternité d’Elne ou durant la guerre d’Algérie en créant des centres d’enfants réfugiés en Tunisie et au Maroc) autour de Pierre Martin (citoyen du monde, ancien objecteur de conscience de 1938 — ce qui lui valu un séjour à la centrale de Clairvaux —, installé à Grasse après toute une vie d’engagement allant des camps de réfugiés palestiniens aux bidonvilles indiens en passant par les actions contre les premières bombes atomiques françaises), et de « Pierrot » Rasquier (artisan plombier niçois, expert bénévole en sauvetages en tous genres, toujours accueillant avec Lisbeth dans son Mas de l’amitié, décédé en 2005), fondateur avec Étienne Reclus (arrière petit-neveu d’Élisée Reclus) de l’Action d’urgence internationale (AUI, issue du SCI, organisant l’intervention dans le monde entier de sauveteurs bénévoles après des catastrophes naturelles).

À l’indépendance de l’Algérie, en 1962, José participe à des opérations de déminage dans le cadre d’un chantier du SCI à El Khemis, près de Tlemcen et s’oppose aux villageois qui préfèrent construire une mosquée plutôt qu’un barrage. Il en profite aussi pour rencontrer les derniers « ajistes » locaux à Oran et à Alger, et de jeunes militants français devenus membres du FLN ou récemment arrivés pour aider l’Algérie indépendante naissante.

Plus tard, José sera à l’origine d’un incident diplomatique cocasse lorsqu’il débarquera, lui le « révolutionnaire apatride », avec Pierrot, d’un avion mis à leur disposition par le prince de Monaco soi-même pour participer, au nom de l’AUI, à l’aide de la population de Florence lors des inondations de 1973.

En mai 1968 et dans les années suivantes, José sera le « grand frère » (il était beau, grand et séduisant !) du groupe Makhno de l’Organisation révolutionnaire anarchiste (ORA, au sujet de laquelle il entrera en conflit avec la CNT espagnole) et de nombreux jeunes libertaires de la région niçoise, comme Georges Rivière ou Bernard Ferry : très discret mais toujours prêt à l’action, José participera à la formation politique de ces compagnons — toujours militants aujourd’hui — par petites touches, alternant conseils amicaux et témoignages vécus d’occupations d’usines, de collectivisations…, tout en ne rechignant pas devant la bagarre ou une fête à la Vallée des merveilles.

Durant toutes ces années d’exil, José reverra de temps en temps ses parents et sa sœur Mercédes lors de rencontres discrètes en Andorre. Et après la mort de Franco, il effectuera un grand voyage en Espagne avec les Bossière retrouvant sa famille et la maison de son enfance à Barcelone.

Ce sera ensuite la retraite d’abord à Eze, puis à partir de 1987 à Amélie-les-Bains – Palalda, en Vallespir, où José retrouve sa langue maternelle, le catalan, et la proximité de Barcelone et de sa terre natale, où il prendra ses petites habitudes comme d’aller régulière-ment faire son marché à Figueres par exemple. Dès leur arrivée dans les Pyrénées-Orientales, Renée et José entrent en contact avec les militants libertaires et ultra-gauche des deux côtés de la frontière, dont d’anciens membres ou proches du MIL.

Très affecté par le décès accidentel de Renée en 1989, il surmonte l’épreuve, aidé par sa curiosité de militant, son appétit de lecture, son sens de l’amitié. Sa haute silhouette toute en douceur, et, avec les ans, de plus en plus frêle, deviendra familière tant à Amélie-les-Bains, à Céret (où il participera à des rencontres sur la Révolution espagnole) que dans le cortège libertaire des manifestations à Perpignan ou encore en 2006 au Perthus lors de la marche anniversaire de la Retirada.

Partageant les positions communistes libertaires de Georges Fontenis et grand ami de Roger Bossière – « anarcho-marxiste » à la manière de Maximilien Rubel —, fidèle avec Madeleine, sa compagne, des éditions Spartacus créées par René Lefeuvre en 1936, José a été compagnon de route des différents regroupements et organisations libertaires en France (FA, FCL, Noir et Rouge, OCL-I, ORA, UTCL devenue depuis Alternative libertaire — participant par exemple au congrès de Nantes de la jeune UTCL).

José a milité toute sa vie sans exclusive en internationaliste convaincu, sans s’enfermer dans les querelles de l’exil et s’est rapproché à nouveau de l’anarcho-syndicalisme et du syndicalisme révolutionnaire de la CNT française et de la CGT espagnole dans ses dernières années, soutenant dès sa création il y a dix ans, et jusqu’à son dernier souffle, la CNT 66.

Écologiste avant que ce soit la mode, José était aussi féru de jardinage et d’alimentation biologiques, proche depuis longtemps de Nature et Progrès et abonné fidèle de La Hulotte depuis sa création. Mais il aimait aussi la bonne chère et les bons vins, et tout particulièrement le bordeaux de la cuvée Élisée Reclus produites par les descendants de celui-ci et diffusée par les Acrates, avec Gilbert Roth, un de ses vieux amis, pour soutenir le Centre international des recherches sur l’anarchisme (CIRA) de Marseille dont il était aussi membre et fidèle soutien.

Daniel Guerrier