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Lille

Nouvelle grève de la faim des sans-papiers

Pierre Mauroy les poignarde dans le dos !
Le jeudi 24 octobre 1996.

Depuis le jeudi 11 octobre, une trentaine de sans-papiers sont de nouveau en grève de la faim à Lille. Cet ultime moyen d’action, ils l’ont choisi en réaction aux multiples provocations de l’État et de la préfecture. Ils réclament des papiers pour tous, l’arrêt des arrestations et des expulsions. Pour la mairie : « La grève de la faim n’est pas justifiée » !



Ils étaient 29 à avoir entamé ce mouvement au retour d’un de leurs compagnons d’une garde a vue. Réaction de colère face à la répression de plus en plus féroce à laquelle se heurte le mouvement des sans-papiers : contrôles d’identité au faciès, en particulier autour du lieu occupé par le Comité des sans-papiers de Lille, arrestations, mises en garde à vue, passage au tribunal, arrêt d’expulsion, séparation de familles…

Les exemples sont multiples d’une volonté préfectorale de forcer les sans-papiers à retourner dans l’ombre. Ainsi, Jawneh F. K. a été arrête il y a quelques semaines déjà. Il a été séparé de ses deux jumelles de quatorze mois. Frappé d’un arrêté d’expulsion, il a été conduit jusqu’à Bruxelles où il s’est opposé à l’embarquement. Depuis, notre ami a été condamné à trois mois de prison ferme et croupit en tôle à Fleury.

Dernier en date, Saibou Touré disposait lui depuis quinze jours d’une autorisation provisoire de séjour. Il a cependant été arrêté jeudi 11 et placé en garde à vue plusieurs heures à la Dircilec. Traité plus bas que terre, il s’est vu accusé d’avoir produit de faux papiers, traité de faussaire… À sa sortie, de retour au Comité des sans-papiers, il a raconté cette nouvelle vexation, ne pouvant retenir sa colère. C’est alors que 29 sans-papiers ont spontanément décidé de riposter par la grève de la faim. Ils sont de toutes nationalités : Africains, Nord-Africains, Laotiens, des hommes comme des femmes. Le mercredi 16, deux d’entre eux ont été contraints d’arrêter cette grève au bout de six jours pour de graves raisons médicales. Face a cette nouvelle situation, toutes les ambiguïtés des différents soutiens sont apparues au grand jour. Bienvenue dans le panier de crabes.

L’Église réformée : elle avait été contrainte d’accueillir les sans-papiers dans ses locaux (après que ceux-ci se virent refusé l’hébergement à la Bourse du travail par les syndicats). Le lundi 14, elle faisait savoir par voie de presse qu’elle demandait aux sans-papiers de quitter les lieux avant le samedi 18 sous peine d’expulsion !

La mairie et les associations, maintenant : les sans-papiers décidèrent de tenter une nouvelle occupation le mercredi 14, après le traditionnel rassemblement devant la préfecture, 200 manifestants se dirigent vers l’auberge de jeunesse de la ville. Ce lieu dépend évidemment de la municipalité. Cette fois-ci, ce furent les polices municipales et nationales qui nous accueillirent. La responsable de l’auberge, ayant téléphoné à la mairie, avait reçu la consigne de refuser l’accès aux sans-papiers. Durant quelques minutes, ce fut un face à face plutôt houleux avec les policiers, aux cris de « Mauroy trahison !, Socialos collabos ! » et autres « P comme pourri, S comme salauds ! » Après quoi la manif repartait aussi sec vers la mairie pour venir crier sa colère à Mauroy (qui s’était déplacé en personne auprès des précédents grévistes, en juin) sous ses fenêtres.

La mairie est en effet censée soutenir les sans-papiers depuis leur installation chez les protestants. Soutien qui ne s’est réduit par aucune action ou aide matérielle. Son jeu est soudain devenu très clair, ainsi que celui de la Préfecture. Une délégation a été reçue par le chef de cabinet. Elle a appris que la mairie voulait bien appuyer les dossiers auprès de la Préfecture, mais qu’elle se refusait à accorder une salle. Et cela tant que les sans-papiers ne lui aurait pas montré les dossiers pour qu’elle juge de leur solidité. Du chantage !

Le soutien des faux-derches

Pourquoi une telle attitude ? Parce que les rumeurs circulent en tous sens. La préfecture mène campagne en sous-main pour décrédibiliser les sans-papiers (ils sont mal organisés, leurs dossiers ne seraient pas sérieux, pas défendables, etc.). D’où la réaction de l’Église réformée et de la mairie. Mais c’est aussi le résultat du soutien plus qu’ambigu des grosses pointures de l’antiracisme. Cela fait des semaines que le réseau contre les lois Pasqua fait preuve d’une inefficacité totale dans son soutien. Le samedi 12, une rencontre a eu lieu entre la mairie et les associations (sans les sans-papiers !). Le directeur de cabinet de Mauroy en a conclu, d’après ce que lui auraient dit les associations, que le mouvement était mal organisé. les dossiers indéfendables (d’autant plus qu’il s’agit de tous les cas possibles de sans-papiers.

Ça doit lui tordre les boyaux de se retrouver face à des dossiers d’étudiants expulsables du fait d’une circulaire de ce qui était alors un gouvernement socialiste, ou face à des déboutés du droit d’asile…), et surtout que les associations ne contrôlaient absolument pas le mouvement. Il en a eu la preuve définitive avec cette dernière action.

Clarifications des choses donc. Le comité a fait la preuve définitive de son indépendance. Premier effet positif, désavouée par sa base, l’Église réformée a retiré ses menaces d’expulsion. La mairie essaie encore de rattraper le coup et pourrait éventuellement trouver une solution au problème des locaux. Mais une chose est sûre, si soutien effectif il y a de la part des magouilleurs, ce sera unique-ment parce qu’ils auront été forcés méchamment. Et on peut compter sur nous pour le leur rappeler et qu’il n’en tire aucun bénéfice !

Les associations sont maintenant au pied du mur : soit soutenir fermement et clairement, soit être totalement décrédibilisées. Notre adhésion au Réseau en dépendra.

Samedi 19, nouveau coup de théâtre. Cette fois-ci, la mairie nous assassine et arme la préfecture. Par voie de presse (Nord-Éclair du 19 octobre), elle annonce : « La grève de la faim n’est pas justifiée ! » Et de motiver ainsi son refus définitif d’un prêt de locaux : la préfecture aurait satisfait certaines exigences des grévistes (lesquelles ?) ; alors qu’en juin, elle avait soutenu les parents étrangers d’enfants français, la mairie juge cette fois-ci que certains sont indéfendables : déboutés du droit d’asile, etc. C’est un véritable assassinat après dix jours de grève de la faim. Elle conforte ainsi la position de la préfecture (la grève est injustifiée) et absout a priori une future répression des grévistes : leur demande de papiers est injustifiée). Il y a une stratégie d’isolement des sans-papiers à laquelle les grosses associations semblent prendre part, puisqu’elles ne peuvent contrôler ces derniers.

Une caravane régionale des sans-papiers pour fin novembre

Nous allons devoir très vite trouver des réponses à cette provocation. Il y a maintenant plus de 268 dossiers en souffrance dont la liste a été déposée en préfecture. Déjà, le samedi 19, a eu lieu un meeting avec la participation de représentants de Saint-Bernard, de Colombes, du 3e Collectif. À la fin du meeting, les participants, pour marquer leur stupéfaction de ce qu’ils venaient d’apprendre par voie de presse, sont restés dans la salle afin de l’occuper pour obliger la mairie à venir s’expliquer. Hélas ! nos élus préfèrent se prélasser dans leurs datchas au Touquet et personne n’était là pour nous rencontrer. Nous n’avions pas encore les moyens de poursuivre l’occupation. Nous avons donc quitté les lieux.

Une caravane régionale des sans-papiers est en préparation pour la fin novembre. Un projet d’Assises locales qui laisserait réellement la possibilité aux sans-papiers d’exprimer leur vision politique de la lutte est en préparation. Il appuierait l’expression politique des sans-papiers lors des assises nationales prévues pour début décembre et chercherait à éviter le monopole du discours par les associations.

Et la grève de la faim se poursuit. En réaction, les femmes de certains grévistes menacent maintenant de rejoindre le mouvement et exigent une entrevue entre elles et P. Mauroy, d’une part, le préfet d’autre part.

Bertrand Dekoninck, groupe Humeurs noires (Lille)


Soirée très relaxe le 26 octobre

Le Comité anti-expulsions organise une fête salle Desquesnes (place Descat, près du grand boulevard) à Villeneuve-d’Ascq Breucq, avec, dès 17 heures, Denis Cacheux, La Bande à Paulo, Les Belles lurettes, Galimède, Tempus Fugit, etc.
50 F ; soutien 100 F ; chômeurs, étudiants 20 F.

Soirée de solidarité avec les sans-papiers

• Projection vidéo à 20 heures : la balade des sans-papiers
• Conférence à 21 heures avec des intervenants du collectif des papiers pour tous
Vendredi 25 octobre à 20 heures à la maison des syndicats, rue H. Bottier (en face du bar le Damier) - Compiègne.
Organisé par la Coordination régionale antifasciste