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Flexibilité ou arnarque « new wawe »

Le jeudi 28 novembre 1985.

Il n’y a que les hibernés et les comateux qui n’ont pas encore entendu ce mot-guimauve : « flexibilité ». À écouter les politicards new look de l’horizon 2000, la flexibilité c’est la mère Denis, bonjour les fantasmes !

Après s’être cassé les dents il y a quelques mois lors des fameuses négociations sur la flexibilité (voir Monde libertaire nº 572), le CNPF et ses amis politiques reviennent sur scène, le mors aux dents. Dans cette course à la flexibilité, la France est loin du peloton de tête à l’échelon européen comme le titre le dossier de L’Usine nouvelle du 3 octobre 1985. Mais la France peut compter sur le gouvernement car le 20 novembre au conseil des ministres, ces messieurs et dames faisaient le point sur ce dossier après avoir consulté les syndicats.

Fabius, esthète sans virilité, qui a toutes les coquetteries de la haute bourgeoisie faisandée, est prêt à en découdre avec tous les « ringards », les « utopistes » qui n’auraient pas encore compris les nécessités de la crise. Non, mais ! La carrière politique de ce duelliste mondain se termine comme elle a commencé : dans le giron de la bourgeoisie. L’ironie dialectique de l’histoire a fait de ce dilettante un chef de file. Il est bien à sa place pour le rôle que la bourgeoisie lui assigne. Il n’est pas homme d’action et n’était pas capable d’être le chef d’un grand parti de combat pour la droite. Sa mission historique, c’est de « sophistiquer » la pensée révolutionnaire et de tenter de châtrer l’action des travailleurs. C’est « l’évêque du dehors » chargé de prêcher parmi les masses infidèles. Et il prêche, il prêche…

Le rapport Taddéi

Ce philtre freudien pour agités du « bocal » présente dans son étude les avantages et les difficultés de l’aménagement du temps de travail, ainsi que ses retombées économiques et sociales, et par là même ses difficultés d’application.

Le rapport énonce trois effets qui justifient une grande durée d’utilisation du capital.

L’effet de capacité : « Au total. la durée d’utilisation des équipements est un paramètre important pour suivre en souplesse les fluctuations de la demande en réduisant les coûts de production et de stockage. »

L’effet de compétitivité : « Dans la grande majorité des situations concrètes actuelles, en une époque de progrès techniques (et donc d’obsolescence) rapide, on peut pratiquement considérer que le coût d’usage d’un équipement est inversement proportionnel à sa durée d’utilisation. Argument de taille pour les entreprises les plus capitalistiques (travail en semi-continu ou continu le plus répandu). »

L’effet de rentabilité : « Conséquence des deux effets précédents : l’augmentation des capacités et des débouchés, liée à la baisse des coûts de production, améliore à l’évidence la rentabilité financière de l’entreprise […] » Deux choix possibles : « ou bien maintenir le taux de profit en baissant les prix et les taux de marge [je me marre !] mais en accroissant ses parts du marché ; ou bien maintenir les taux de marge et donc le prix [ah bon, tiens, tiens !] et ainsi augmenter son taux de profit à débouchés cons-tants. » Mais, bon sang, c’est bien sûr !

Les obstacles

Le premier obstacle à une plus grande durée d’utilisation du capital est l’insuffisance des débouchés : « Toute future entreprise, sectorielle ou globale, se heurtera vite comme en 1981 et 1982 à des capacités insuffisantes, du fait de la faiblesse décennale de l’investissement, si les réorganisations proposées n’ont pas été mises en place ou du moins préparées… »

Mais il y a aussi la baisse des prix qui profite à d’autres : « L’augmentation de la production profitera aux fournisseurs et au delà à tous ceux qui se situent en amont. L’augmentation de la masse salariale versée, grâce aux nouvelles embauches, se diffusera sur tous les marchés où les salariés dépensent. Une meilleure situation de l’emploi améliorera les comptes publics et sociaux, par réduction des indemnités de chômage versées mais surtout par augmentation des cotisations et impôts perçus. Une partie souvent importante des avantages obtenus ne reste pas dans l’entreprise. »

Autre obstacle : la rigidité du droit du travail. Le rapport indique « que le code du travail ne s’oppose pas à ce que la semaine de travail commence le lundi à 0 h et se termine le samedi à 24 h. Les textes en vigueur autorisant la mise en place d’équipes successives, la seule rigidité est l’interdiction sur la plage horaire 22 h/5 h du matin et de faire travailler les femmes et les jeunes. Il existe des limites à une utilisation débridée de la main d’œuvre : travail de nuit des femmes et des jeunes, repos hebdomadaire obligatoire le dimanche (sauf exception) ou encore la durée maximale du temps de travail des salariés. Mais peut-on soutenir valablement que de tels garde-fous soient des obstacles irrémédiables à une meilleure ou une plus grande utilisation des équipements ? Certes pas. »

La proposition centrale de ce rapport consiste à conjuguer allongement de la durée d’utilisation des équipements et réduction du temps de travail.

Taddéi n’a pas, en tout cas, découvert l’eau chaude ; déjà en 1980, « Raymond-la-Science » [1] lançait des esquisses sur ce sujet. Comparativement à toutes les autres propositions du CNPF et de l’opposition, ce rapport c’est du pipi de chat (quoi-que ?).

Si la crise du capitalisme est cyclique, à chaque étape interviennent des modifications structurelles qui amplifient les contradictions du capitalisme, mais sans en modifier les lois fondamentales et en particulier le profit. La flexibilité est une de ces modifications : multiplication des plages d’horaires, d’équipes de travail, de contrats à durée déterminée, travail précaire, temps partiel, annualisation de la durée du travail, liberté de licenciement, j’en passe et des meilleures…

En 1936, c’était la gauche et trois ans après la guerre. En 1981, c’était la gauche et trois ans après la flexibilité… faut dire qu’entre temps il y a eu Hiroshima, pas fou le capitalisme !

Engageons donc toutes nos forces et nos convictions afin que le rapport de force dans les entreprises soit conséquent et efficace, et fasse en sorte que tous ces alchimistes jettent leur potion magique aux oubliettes.

Jacques Floris
Liaison Douai


Sources : Liaisons sociales nº 116/85 du 14 octobre.


[1Raymond Barre, premier ministre de l’époque.