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Villeneuve-d’Ascq : procès contre le Comité anti-expulsions

Le jeudi 17 octobre 1996.

Depuis 1994, le Comité anti-expulsions de Villeneuve-d’Ascq (département du Nord) s’efforce d’agir au quotidien sur le domaine de la lutte pour le doit au logement. Pour s’être opposés, en octobre 1995, à l’expulsion ordonnée par l’Office public des habitations à loyers modérés à l’encontre d’une étudiante camerounaise, deux membres de ce Comité, Patrice Bardet et Christine Ème, et une élue communiste, Danièle Cochez, se sont vus traînés devant le tribunal correctionnel.

Patrice Bardet, président du Comité, a accepté de répondre à nos questions.



Christophe Fétat : Est-ce que tu peux nous donner un bref historique de votre Comité ?
Patrice Bardet : Aux lendemains des dernières élections cantonales, nous avons appris qu’un huissier allait procéder à une saisie pour recouvrer le montant de loyers impayés par un habitant de notre quartier. Nous avons décidé d’être présents dans l’appartement lors de la venue de l’huissier. Après négociations avec ce dernier, nous sommes parvenus à éviter la saisie et à obtenir que le locataire soit relogé et que sa dette soit apurée. Cette première victoire nous a donné l’envie de continuer et une association loi 1901 a vu le jour deux mois plus tard, en mai 1994. L’article 2 de nos statuts stipule que son objet social est de lutter contre les expulsions, leurs causes et leurs conséquences. En cas d’expulsions, nous exigeons un relogement qui préserve l’unité et la dignité de la famille concernée. Bien entendu, nous nous occupons également des cas d’expulsion de personnes célibataires. Plus de 90 % des membres du Comité ont été touchés personnellement par des problèmes dus à la précarité. Nous regroupons des personnes de tous horizons, exception faite, bien entendu, des sympathisants des thèses d’extrême droite. Au total, nous nous somme opposés physiquement, sans violence aucune, à plus de vingt expulsions et nous avons apporté notre aide à quatre-vingts familles environ.

Q : Quels sont les modes de fonctionnement de votre Comité ?
R : Tout le monde est bénévole. Au départ, nous souhaitions nous orienter vers la constitution d’un Comité de quartier puisque nous logions tous aux alentours de l’hôtel de ville de Villeneuve-d’Ascq. Nous voulions recréer des liens de voisinage, montrer qu’il était possible de mettre en place un système d’entraide sans avoir besoin de recourir à l’argent. Ce principe est respecté. Les cotisations sont symboliques (la cotisation minimum est de 10 francs). Une aide est apportée à tous, y compris aux non-adhérents. Pour vous donner une idée de nos finances, il devait y avoir à peu près 35 francs en caisse avant le procès. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de frais car les activités de notre association débordent large-ment du cadre géographique de notre quartier.

Q : Est-ce que tu peux nous donner des exemples de ces activités ?
R  : Initialement, nous pensions n’intervenir qu’aux alentours de l’hôtel de ville mais nous avons été amenés à travailler dans l’ensemble des quartiers de Villeneuve-d’Ascq sans compter les actions sur Hellemmes, Ronchin et autres localités de la métropole lilloise. Il nous est même arrivé d’aller jusqu’à Lens ! Mais, pour être véritablement efficace, autrement dit être sur les lieux avant l’huissier et les déménageurs, mieux vaut que le lieu de l’expulsion soit à moins d’un quart d’heure de route.

Q : En général, comment se déroulent vos actions ?
R : Les personnes expulsables préviennent par téléphone le Comité. Nous occupons l’appartement jusqu’à parvenir, en dialoguant avec l’huissier, à aboutir à son départ et un engagement de négociations ultérieures.

Q : Est-ce que vous avez déjà eu maille à partir avec la maison Poulaga ?
R : Non car, dans un premier temps, l’huissier ne peut pas recourir aux forces de l’ordre. Il ne peut expulser le locataire qu’avec son consentement. C’est inscrit dans la loi. En théorie, le Comité n’a donc pas lieu d’exister puisque le locataire peut s’opposer lui-même à son expulsion. Mais l’intervention du Comité traduit une solidarité en actes face à l’huissier, aux déménageurs et à la présence éventuelle d’un commissaire garant du bon déroulement de l’expulsion et qui est censé s’assurer du respect des droits du locataire.

Q : Pour la première fois, certains d’entre-vous ont été traduits en justice pour ce type d’actions. Comment est-ce que tu l’expliques ?
R : Objectivement, cela devenait difficile d’expulser sur Villeneuve-d’Ascq, ce qui n’était pas sans déplaire aux huissiers, aux pontes de l’OPHLM et au procureur de la République.

Q : Qui a décidé de porter plainte ?
R : C’est l’huissier présent lors de l’expulsion, Claude Lefebvre. Il est intéressant de noter que si nous avons été interrogés au commissariat de Villeneuve-d’Ascq, la plainte a été déposée dans un commissariat d’une autre localité. De novembre 1995 à janvier 1996, nous avons été six à devoir nous y présenter.

Q : Quel a été le résultat de ces entrevues ?
R : Au cours des interrogatoires qui duraient d’une à deux heures, nous avons surtout été questionnés sur le déroulement des faits, mais également sur les statuts de notre association puisque nous avons tenus à nous présenter comme membres du Comité.

Q : Votre jugement a eu lieu le 10 septembre dernier. Qu’en ressort-il ?
R : La relaxe a été prononcée puisqu’il a été prouvé que les accusations d’intimidations physiques et verbales envers l’huissier n’étaient pas fondées.

Q : Cependant le Parquet fait appel. Dans un tract lapidaire et humoristique, vous conseilliez à tout un chacun de vérifier où vous plongiez avant de sauver un noyé car on pourrait lui mettre une amende pour baignade interdite. Belle image pour présenter les suites ubuesques données par les pouvoirs judiciaires à votre procès ! Êtes-vous inquiets pour les jours à venir ?
R : Le moins que nous puissions dire c’est que nous ne sommes pas rassurés ! Les individus sont broyés par le système. Si l’État décide de condamner un individu, il sera difficile de s’en sortir tant le rapport de force est inégal.

Q : Pour autant, vous ne baissez pas les bras ?
R : Nous continuerons à nous opposer aux expulsions. D’ores et déjà de nouveaux cas nous ont été signalés. Soit dit en passant, nous nous opposons aux expulsions sans solutions de relogement quel qu’en soit le motif.

Q : Quels sont vos rapports avec les autres structures militant pour le droit au logement ?
R : Nous travaillons régulièrement avec AC !, et d’autres associations de chômeurs telles que l’ADEC ou le mouvement national des chômeurs précaires. Nous travaillons également avec le DAL et les Ateliers populaires d’urbanisme (APU) de Lilles-Fives, du Vieux Lille, de Lille-Moulins et de Wazemmes. Nous faisons parti du Collectif RASSADJ (Rassemblement des associations, structures, syndicats pour l’accès au droit et à la justice) qui regroupe le Syndicat de la magistrature, le Syndicat des avocats de France, les Avocats démocrates du Nord, les APU, SOS Racisme Lille, etc. Nous essayons d’avoir avec tous ces partenaires des actions concertées sur le droit au logement. Après une réflexion sur le recours aux squats sauvages, nous nous sommes orientés en priorité vers la réquisition légale. Ce qui a donné lieu aux diverses actions du DAL de Lille, émanation d’individus appartenant à divers structures, associations et syndicats, sans oublier des individus n’étant dans aucune organisation.
Par ailleurs, nous avons demandé à la commune de créer une commission de « recours ultime » comprenant la ou les personnes expulsable(s), le bailleur, une assistante sociale, des représentants de la municipalité, le CCAS et une association choisie par la ou les personne(s) expulsable(s) susceptible de trouver une alternative à l’expulsion. Jusqu’au procès, cette commission a permis de diminuer considérablement le nombre d’expulsions (vingt-quatre en 1995, une seule de janvier à septembre 1996). Malheureusement, cela a repris, certains expulsables ne s’étant pas fait connaître ou n’ayant pas tenu les engagements pris lors de ces commissions. Parallèlement, des bailleurs ont choisi de ne pas saisir cette commission afin d’expulser à leur guise.

Propos recueillis par Christophe Fétat - FA Lille
Pour joindre le Comité anti-expulsions, écrire : 13/4, rue Vermeer -59650 Villeneuve-d’Ascq - Tél. 20 474044 ou 20 79 46 37 (soirée)


Soirée très relaxe le 26 octobre

Le Comité anti-expulsions organise une fête salle Desquesnes (place Descat, près du grand boulevard) à Villeneuve-d’Ascq-Breucq, avec dès 17 heures Denis Cacheux, La bande à Paulo, Les Belles lurettes, Galimède, Tempus Fugit, etc.

50 F ; soutien 100 F ; chômeurs, étudiants 20 F.