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Lille

Nouvelle grève de la faim des sans-papiers

Le jeudi 6 février 1997.

Depuis le 14 janvier, 18 sans-papiers du Comité des sans-papiers ont entamé une deuxième grève de la faim pour obtenir leur régularisation. Une dizaine d’entre eux avaient fait partie de la première grève de 27 jours d’octobre 1996. Cette première grève avait été suspendue après quelques maigres résultats auprès de la préfecture du Nord face à la menace d’expulsion du lieu qu’ils occupaient alors, un local de l’Église réformée. Quelques récépissés, des lettres du préfet de sursis à exécution de mesures d’expulsion pour les grévistes de la faim et une liste de 121 noms, sur 201 présentés par le comité, que la préfecture jugeaient régularisables. Depuis le 4 novembre, date de suspension de la grève de la faim, 17 régularisations sont intervenues ainsi qu’un certain nombre de refus de titres de séjour. On comprend la frustration et la colère des sans-papiers.

Mais revenons sur ce qui s’est passé depuis la suspension de la grève de la faim. Quinze jours après celle-ci, l’Église réformée informe les sans-papiers de sa volonté de mettre fin à l’occupation des lieux, malgré ses promesses antérieures de leur laisser le local disponible. Elle leur propose ni plus ni moins de se transformer en une banale association, abandonnant le principal caractère de la lutte : l’occupation continue d’un lieu de regroupement et de vie collective du mouvement. C’était bien entendu inacceptable. Menace alors un affrontement avec d’autres utilisateurs du lieu : le DAL et les Restos du coeur. Le comité des sans-papiers décide alors qu’un déménagement est préférable afin d’éviter un affrontement avec d’autres exclus : les sans logis et les sans ressources.

Le 2 décembre, les sans-papiers investissement la Maison de la nature et de l’environnement [1], lieu où se réunissent un pléthore d’associations, dont par exemple le MRAP et la Ligue des droits de l’homme. C’est alors qu’explosent toutes les contradictions entre ce mouvement autonome des sans-papiers et les associations et mouvement qui le soutenaient. Le soir même, devant la presse, le président régional de la LDH dénonce le Comité des sans-papiers, ses méthodes soi-disant inacceptables et sa politique du fait accompli. La présidente de l’Oglanel, l’association qui gère la MNE (louée à la municipalité) fait de même. Le malaise est général parmi les associations. Et c’est un comble ! Cette occupation avait été évoquée la semaine précédente par le Comité en réunion du Réseau contre les Lois Pasqua et toutes les Lois anti-immigrés, dont font partie les sans-papiers, la LDH, l’Arev et nous même ainsi que nombre de mouvement antiracistes et de gauche (hormis le PS). C’était le seul alors possible pour le Comité des sans-papiers. Tout le monde était donc mis au courant !

Face à cette situation, nous décidons que la coupe est pleine, que les tergiversations qui durent depuis des mois sur le comité ont assez duré, que le « soutien » dont ont fait preuve trop de gens a suffisamment desservi les sans-papiers… et nous quittons le Réseau après quatre ans d’appartenance, non sans en faire savoir les raisons par un courrier à l’ensemble des mouvements qui le composent.

Depuis, le soutien des associations de fait pour le moins discret. C’est peu dire que les sans-papiers ont l’impression de se retrouver seuls. Fin décembre, nouvelle attaque : la Mairie de Lille, à la demande de l’Oglanel [2], fait appel à un conciliateur de justice pour faire cesser l’occupation de la MNE. Dommage pour elle, la conciliatrice, lors de la dernière entrevue a donné raison aux sans-papiers et suggéré à la Mairie, si l’Oglanel avait besoin d’une salle pour une activité prévue dans le salon occupé par les sans-papiers, de prêter une salle à… l’Oglanel. D’autre part, une solution à ce solution à ce problème lancinant de local se profile. Le Conseil régional (Marie-Christine Blandin) se propose de faire louer par quelques associations du « mouvement démocratique » un lieu qui serait mis à disposition des sans-papiers ». Solution dont il est trop tôt pour augurer à l’heure actuelle. Elle aurait le mérite de résoudre ce problème qui existe depuis la création du Comité mais le grand inconvénient de donner des armes contre le comité à ceux qui loueraient ce local. Il faut donc être vigilant.

Après les déboires…

À côté des problèmes rencontrés avec la gauche, le comité a continué la lutte, et plutôt efficacement. Le 28 novembre, il organisait seul la montée à Paris pour la manifestation nationale des sans-papiers. Le 7 décembre, un concert de soutien a eu lieu à Lille avec Casse Pipe, David Cissoko et Jungle Beanz, qui a rassemblé plus de 500 personnes. Le 19 décembre, un meeting en rassembla presque autant autour des sans-papiers et d’Antoine Sanguinetti, qui fait partie du collège des médiateurs de Saint-Bernard (et plutôt de l’aile radicale de celui-ci). Le 25 janvier, à l’initiative du Comité des sans-papiers, eut lieu à Lille une importance manifestation régionale contre la loi Debré qui rassembla près de mille personnes, cela faisait longtemps qu’il n’y avait eu une aussi forte mobilisation autour des sans-papiers.

Le mouvement libertaire lillois n’a pas à rougir de son action auprès des sans-papiers. Le cortège libertaire était un des plus importants de la manifestation, comprenant la FA, la CNT, le groupe OCL de Boulogne-sur-Mer et le mouvement squatter. Ce dernier en est d’ailleurs à son troisième concert de soutien aux sans-papiers en quatre mois, concerts qui à chaque fois réunissent des centaines de personnes à la Pharmacie occupée d’abord puis à l’Entrepôt occupé [3].

Le 28 janvier près de 150 personnes se mobilisaient pour le procès de Jacqueline Deltombe, Française inculpée d’aide au séjour irrégulier. Le 29 janvier, c’était enfin le recours au tribunal administratif de Chankhoun Louangxay, Laotienne gréviste de la faim victime d’un arrêté de reconduite à la frontière. Cet arrêté a été confirmé par le tribunal administratif. Louangxay est donc maintenant en danger d’expulsion, voire d’emprisonnement, alors que la préfecture avait promis un moratoire aux expulsions.

Cela traduit un nouveau durcissement de la préfecture, plusieurs sans-papiers ayant eu à subir des tracasseries policières ces derniers temps, et fait craindre la reprise de la chasse aux sans-papiers. sitôt la loi Debré promulguée. Le préfet refuse d’ailleurs absolument d’entamer des négociations avec le comité. Il attend visiblement le vote de cette loi pour prononcer les expulsions dans ce nouveau cadre, qui ne laisserait que peu de chances aux sans-papiers se sont construits un véritable mouvement et ont acquis, alors que la plupart n’avait aucune expérience politique, une maturité que beaucoup de militants n’ont pas.

Quant au groupe Humeurs-noires de la Fédération anarchiste, il continue à les soutenir le plus efficacement qu’il le peut. Un nouveau rassemblement contre la loi Debré est prévu pour le 4 février, alors que débutent les discussions sur le projet au Sénat. Nous développons le thème suivant : agir et désobéir ! Face à toutes les lois anti-immigrés, l’heure n’est plus seulement à la mobilisation et aux manifestations, mais à la désobéissance civile. Face à la faillite de la gauche (quasiment absente de l’Assemblée pour l’adoption de cette loi) il nous faut prendre nos affaire en main : aider, accueillir les étrangers, mettre en place dès aujourd’hui des réseaux de solidarité qui permettent de résister à la fascisation rampante. Il nous faut arriver à déstabiliser en refusant d’obéir à ses lois racistes et en le faisant savoir. Ouvrons les frontières par la désobéissance civile.

Nous sommes en train de mettre en place, en liaison avec le comité des sans-papiers, une campagne sur ce thème, avec peut-être la création prochaine d’un « Comité des réfractaires aux lois anti-immigrés » [4], regroupant toutes les personnes qui soutiennent les sans-papiers et qui s’engageraient publiquement à désobéir. Souhaitons que cette campagne soit nationale. Nous avons donc beaucoup de pain sur la planche !

Bertrand Dekoninck groupe Humeurs noires (Lille)


[1MNE : 23, rue Gosselet, 59000 Lille

[2Association qui gère la Maison de la nature et de l’environnement

[3L’entrepôt occupé : 17, rue Coustou, 59260 Hellemmes

[4Appellation non contrôlée. Pour plus d’informations, écrire pour l’instant à Humeurs noires, BP 79, 59370 Mons-en-Barœul.