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Maurice Papon

de l’ignominie ordinaire au service de l’État
Le jeudi 22 février 2007.

6 mai 1981 : Le Canard enchaîné publie des documents signés de la main de Maurice Papon prouvant sa responsabilité, en tant que Secrétaire général de la préfecture de la Gironde, dans la déportation de 1690 Juifs de Bordeaux à Drancy, destination finale Auschwitz, sous l’Occupation entre 1942 et 1944. Il est alors ministre du Budget dans le gouvernement de Raymond Barre (avec pour directeur de cabinet Jean-Louis Debré) après une carrière ininterrompue de près d’un demi-siècle dans l’appareil d’État sous l’égide successive des radicaux-socialistes, du Front populaire, du régime de Vichy, de la Libération gaulliste, des socialistes, du Front républicain, du gaullisme à nouveau (où en tant que préfet de police de Paris, il commettra son second crime d’État avec le massacre de centaines d’Algériens le soir du 17 octobre 1961 et dans les jours qui suivirent, crime toujours impuni) avant de se rallier en 1974 à Giscard d’Estaing sous la houlette de Jacques Chirac.

Inculpé le 19 janvier 1983 de « crime contre l’humanité », il se présente libre, au bout de quinze ans d’instruction (véritable parcours d’obstacles pour les parties civiles sans l’opiniâtreté desquelles le procès n’aurait jamais eu lieu), devant la cour d’assises de Bordeaux qui le condamne le 2 avril 1998 à dix ans de réclusion criminelle pour « complicité de crime contre l’humanité ». Il faudra attendre le 22 octobre 1999 pour qu’il soit incarcéré, après une fuite rocambolesque en Suisse, et il sera remis en liberté moins de trois ans plus tard, le 18 septembre 2002, grâce à l’application de la loi Kouchner car « le pronostic vital était engagé », mais il lui survivra plus de quatre ans puisqu’il meurt ce 17 février 2007 à l’âge de 96 ans !

Maurice Papon ne regrettait rien : « Si c’était à refaire, je le referais ! » s’est-il écrié à la fin de son procès, car il ne faisait que son métier : son métier de fonctionnaire zélé, rouage administratif au service de l’État qui établit les listes de Juifs selon la législation en vigueur comme il le ferait pour n’importe quel « produit » figurant dans sa nomenclature de bureaucrate. C’est en cela que son histoire est exemplaire : il est le symbole de cinquante années d’histoire des mentalités françaises, de ces mensonges, oublis et autres arrangements biseautés pour éviter l’image que nous renvoie le miroir, celle du crime d’indifférence. Ne sommes-nous pas tous capables un jour, nous individus ordinaires comme Papon, d’obéir à l’inacceptable ?

Car c’est là que le bât blesse. Le crime contre l’humanité, ce n’est pas Auschwitz, c’est une chaîne qui commence avec l’exclusion de la vie civile et professionnelle et le fichage, se poursuit avec les arrestations et les séquestrations, qui vont déboucher sur la déportation et finir par le gazage. La division des tâches et des responsabilités étant poussée à l’infini, chacun peut feindre d’ignorer dans cette chaîne le rôle du maillon qui le précède et de celui qu’il précède. Papon a accompli son devoir de technicien, de spécialiste ; il fournit les moyens, la fin ne le regarde pas : au nom des ordres reçus, il ignore l’inhumanité des actes commis. Pour lui « démissionner aurait été déserter ! » NON : face à un régime d’exclusion obéir c’est soutenir, et démissionner c’est résister. Tout individu doit conserver sa capacité de choix de dire non car n’oublions jamais, comme le disait déjà Étienne de La Boétie en 1548, que « le pouvoir ne s’impose que du seul consentement de ceux sur lesquels il s’exerce ».

17 février 2007,

Jean-Jacques Gandini
auteur de Le Procès Papon, Éd. Librio, 2 euros