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Dossier « coopératives »

Le Malentendu

Le jeudi 26 octobre 2006.

Nous autres, anarchistes, avons depuis longtemps la fâcheuse tendance à nous prendre les pieds du fond dans le tapis de la forme…
Tapis rouge en 17 où la bonne fois fût rapidement aspirée dans l’infâme avec les poussières d’espoir naissant…
Tapissés de sang dans l’épisode de la preuve par le fait…
Tapis dans les bois à l’orée de milieux libres qui tournaient en rond…
Tapisserie, enfin, dans le mouvement coopératif où bon nombre d’entre nous font encore illusion à défaut d’avoir encore des illusions…

Initiateurs du mouvement coopératif, nous le fûmes, nous aussi, à n’en pas douter. Le père Proudhon, en suggérant le mutualisme ouvrait une voie nouvelle dans les expériences à la Owen, l’autogestion planant dans la tête de tous. Certes.

Mais encore une fois, la forme nous cache la forêt du fond. Comme pour le débat entre puristes du développement durable et puristes de la décroissance, nos troupes libertaires ont tendance à tendre l’oreille aux sirènes ambiantes sans prendre le temps de vérifier qu’il y a assez de gilets de sauvetage pour tout le monde dans le rafiot du dernier concept à la mode !

Notre relation au mouvement coopératif relève de la même logique. La vitrine est alléchante, on peut en convenir, mais passé le « pas de porte », c’est le fond de commerce qui vous accueille. N’en déplaise au badaud libertaire qui s’attarde sur l’étal, tout est à vendre !
Du capital social au fond de réserve, de la révision coopérative au fichier clientèle, en coopérative comme dans n’importe quelle boutique, les prix sont affichés et le gérant guette les marchés porteurs.

La coopérative affiche bien un mode de gouvernance à part, elle n’en est pas moins une société commerciale à but lucratif. Faites le test ! Essayez de créer une coopérative, disons d’intérêt collectif, sans rentabilité avérée, sans plan de retours sur investissements envisageables, sans projection budgétaire en N+1 ou N+2…le retour est immédiat. C’est non !
Et c’est bien le mouvement coopératif qui vous ferme la porte au nez, soucieux de préserver une place au chaud dans l’horizon libéral des chefs d’entreprendre autrement certes, mais pas n’importe comment.
Et ils ont bien raison. Pourquoi aller cautionner ou encourager des projets économiquement peux viables qui risqueraient de faire baisser la moyenne nationale de taux de transformations réussies du projet à l’activité rentable ?

L’économie, dites sociale, s’est hissée à la force du poignet aux côtés des gens responsables, respectables, à la droite de la gauche, chez les BOBO, entre solidaire et coopératif. En un mot, les coopératives de tout poil ne sont que des outils de l’économie libérale. Et c’est tant mieux. Au moins, on sait où on en est.
Mais nous autres, anarchistes, on en a pas besoin des coopératives dans notre idéal de coopération. Ni besoin des mutuelles dans notre idéal de mutualisation…
Dans toute cette volée de concepts alléchants comme : l’outil de travail appartient aux salariés, des dividendes limitées, une mutualisation des moyens de production… Nous autres, bêtement convaincus que c’est la lune qu’il faut regarder et non le doigt qui nous la montre, nous autres donc, on sait bien que tout ça n’a de sens que dans un système égalitaire et socialement libéré du marché et du capitalisme…
On sait bien, nous autres, que tout ce fatras participe du pillage des ressources de la planète en présentant une nouvelle étape plus « socialement correcte » du capitalisme…
On sait bien, nous autres, que produire pour encourager la consommation en fonction du marché c’est surtout ne rien faire pour accompagner une décroissance indispensable.
On sait bien, nous autres, que le chemin se trace en marchant et que seule l’empreinte écologique mène au bout du chemin…
Et pourtant, on dit que c’est nous qui sommes dans la lune et ils nous montrent tous du doigt !
Quel paradoxe, non ?

François Dibot
Du groupe « Nous Autres » de la Fédération anarchiste.