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Un maire PS attaque un militant de la CNT

Ubu roi de Béthune

Le jeudi 6 janvier 2000.

Certains parlent de « fiefs » électoraux à propos de villes votant régulièrement pour le même parti. Ce vocable féodal convient tout à fait à propos de Béthune, ancienne ville minière du Pas-de-Calais. Le procès qui a opposé le 23 décembre la municipalité à notre camarade cénétiste Jacques Kmieciak en est la parfaite illustration. Béthune vote socialiste : c’est la ville de Jacques Mellick. Depuis que celui-ci s’est fait condamner à une peine d’inéligibilité dans l’affaire OM-Valenciennes jusqu’en février 2001, c’est son ancien adjoint, Bernard Seux, qui a repris la seigneurie.

L’affaire qui nous intéresse remonte en fait au 10 décembre. Ce jour-là, les militants et militantes CNT de Béthune et de l’ADEPA-AC ! de Saint-Omer manifestent à l’ANPE de la ville pour protester contre le fichage des chômeurs mis en place par le directeur de l’agence. Puis ils se rendent à la mairie pour être reçus par le maire, afin de lui faire part de leur émoi. En attendant le rendez-vous, tous décident d’occuper leur temps utilement, en informant le personnel municipal de ce qui se passe dans leur ville. Des tracts sont ainsi distribués dans tous les bureaux, y compris celui du maire ? vide de tout occupant ? dans lequel ils pénètrent par hasard. Mais l’affaire se gâte à la sortie de celui-ci quand les manifestants voient surgir un Bernard Seux en furie, les traitant de « petit merdeux » (c’est en tout cas ce qu’affirmeront les militants à l’audience), les accusant d’avoir volé des affaires dans son bureau et les prenant violemment à partie. Jusque-là tout s’était bien passé. Mais la tension monte brusquement autour de la porte du bureau que tente de refermer de force le maire, jusqu’à ce qu’il appelle les forces de police et fasse arrêter plusieurs de nos camarades qui furent alors gardés à vue jusqu’au lendemain. Le maire porte plainte contre Jacques Kmieciak pour outrage à magistrat et dégradation de bien public : il aurait proféré des insultes à son égard et mis à mal la serrure de la porte du bureau du maire en tentant de la réouvrir.

Un maire grotesque…

L’affaire était donc de la plus haute importance et méritait à tout le moins d’être jugée le plus rapidement possible : rendez-vous compte, on avait manqué de respect au maître de la ville. On parvient donc à la faire ajouter à l’audience du 23 décembre, déjà surchargée !

Le 23 à 13 h 30, nous sommes donc une quarantaine présents au procès, bien décidés à défendre notre camarade. Les slogans fusent devant le palais de justice de Béthune : « Qui sème la misère, récolte la colère ! » À l’intérieur, les affaires se succèdent. La justice frappe ici vite et fort : des peines de prison ferme pour de petits délits de vol le plus souvent liés à la toxicomanie. Les manifestants profitent de l’attente pour aller manifester un peu devant l’hôtel de ville.

Ce n’est que vers 18 h 00, alors que de nombreuses affaires n’ont pas encore été traitées, que Jacques est enfin appelé à la barre pour être jugé des faits gravissimes qui lui sont reprochés : avoir qualifié un maire du doux nom de « fainéant » et de lui avoir demandé si « il était encore bourré », comme le rapporte le chef d’accusation. Mais aussi d’avoir cassé une serrure de porte, dont la réparation aura coûté la somme ruineuse de 159 FF. Ça valait bien 24 h de garde à vue et un procès, n’est-ce pas ? Mais tout ne se passe pas si bien que l’aurait voulu la mairie et le procureur : l’avocat de la défense conteste l’ensemble de la procédure car le maire n’a pas demandé l’aval du conseil municipal pour engager ces poursuites alors que la loi l’y oblige. Le vice de procédure est patent, mais le tribunal décide de passer outre.

Jacques, interrogé par la présidente du tribunal, nie avoir insulté le maire, rappelant que tout s’était passé courtoisement jusqu’à l’irruption du personnage. Il affirme de plus ne pouvoir dire s’il a effectivement cassé cette serrure car tout s’était passé très vite, et que dans son souvenir, ils étaient au moins deux à s’opposer autour de cette porte : lui et le maire.

Vient l’appel des témoins : l’attaché parlementaire du maire (il ne parlera pas sous serment puisqu’il est employé du maire), affirme avoir entendu les insultes. Quant à la porte, il n’était pas du bon côté. Mais Valérie Minet, militante de l’ADEPA, qui filmait l’action des chômeurs et dont la bande a été saisie par la police, corrobore les déclarations de Jacques. Enfin Jean-Marie Honoret, de l’ADEPA également, affirme mordicus que Jacques n’a pas cassé cette porte (il était à ses côtés au moment de l’incident). Les témoignages sont donc parfaitement contradictoires. Cerise sur le gâteau, la bande vidéo saisie lors de l’action n’a pas été visionnée par le tribunal ! Les moyens objectifs de départager défense et partie civile sont donc maigres.

…qui veut régler ses comptes avec le mouvement social

L’avocate du maire veut faire croire que celui-ci joue l’apaisement en ne demandant qu’un franc de dommage et intérêts. Le contentieux entre la mairie et la CNT de Béthune est pourtant ancien : déjà en 1998, Bernard Seux avait voulu expulser la CNT de la Maison des Syndicats suite au discours radical que celle-ci avait tenu le Premier mai.

Pour le procureur, ça ne fait pas un pli : Jacques est coupable et il faut le faire taire. D’autant plus qu’on l’a déjà mis en garde suite à une action « caddie® » pour les chômeurs au supermarché Champion de la ville à Noël 1998. Il réclame donc de la prison avec sursis, sans en préciser la durée, afin dit-il de calmer le militant cénétiste ! Voilà qui illustre clairement les procès de plus en plus fréquents visant à la criminalisation du mouvement social.

Quant à l’avocat de Jacques, il a commencé par s’étonner de la rapidité de ce procès et dénoncé une instruction bâclée, pour une affaire qui n’aurait jamais dû passer devant un tribunal. Il rappelle le vice de procédure dû à la non-saisine du conseil municipal pour l’action en justice du maire. Il exige surtout que soit visionnée la fameuse cassette vidéo, s’étonnant qu’une pièce du dossier aussi importante ait pu être passée sous silence. Il réclame la relaxe au bénéfice du doute, car rien ne permet de départager les témoignages. Le clou du procès aura tout de même été le moment où l’avocat a versé au dossier un communiqué de presse de la section locale du PS, affirmant que le 10 décembre, des chômeurs ont été insultés à la mairie de Béthune ! Comme quoi la guerre entre Bernard Seux et Jacques Mellick (qui contrôle encore la section) pour l’investiture des prochaines municipales fait rage à Béthune-City.

L’avocat de Jacques aura au moins obtenu une chose dans cette affaire sans queue ni tête : le report de la décision du tribunal. Le verdict sera rendu le 20 janvier 2000.

Bertrand Dekoninck (Groupe Métropole lilloise de la FA)