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Jean-Philippe Martin

Le jeudi 21 décembre 1989.

Ce jour-là, au « Château des Brouillards », je rangeais quelques livres ! Un grand gaillard poussa la porte de la librairie ! Il s’appelait Jean-Philippe Martin ! Et c’est alors que se noua, entre nous, une amitié que seule la mort pouvait effacer.

Après une longue maladie Jean-Philippe Martin vient de nous quitter ; et devant mes yeux défile ce parcours du militant syndicaliste, du militant libertaire, qui fut exemplaire !

D’abord ouvrier pâtissier, c’est dans le bâtiment qu’il va faire une carrière qui va le projeter dans toutes les luttes de ces trente dernières années. Membre du groupe Louise-Michel dans les années cinquante, il va participer à la reconstruction de la Fédération anarchiste. Quelques moments forts de ce combat qui fut le nôtre dans les temps difficiles de la guerre d’Algérie ? Je me revois sur le siège arrière de sa moto, agrippé à son épaule, et sillonnant Paris en tous sens pour inonder la capitale d’affiches proclamant que la guerre était un crime contre lequel la population devait se dresser !

Jean-Philippe Martin fut surtout un militant syndicaliste à Force ouvrière. Il siégera à la commission exécutive de la Région parisienne pendant de longues années, où il se spécialisera dans les problèmes de la Sécurité sociale. Mais les tâches importantes, que lui confiera l’organisation, ne le détourneront pas du travail essentiel qui est l’action syndicale à la « base » et il exercera des responsabilités, tant à la direction de son syndicat qu’à celle de sa fédération.

Jean-Philippe Martin était un homme de qualité, qui « s’était fait lui-même » et qui s’inscrivait dans cette lignée de militants ouvriers dont « la planche à livres » se garnissait au fil des années et qui ont fait la richesse du mouvement libertaire. Il donnera de nombreux articles au Monde libertaire. Syndicaliste, il conservera par ailleurs de la tendresse pour cet individualisme anarchiste, dont E. Armand fut le propagandiste affirmé, dans la première moitié de ce siècle. Cependant, comme beaucoup d’autres militants, c’est le groupe Louise-Michel qui l’a marqué et qui dans une certaine mesure lui a donné ce goût du syndicalisme. C’est certain, Martin représentait, parmi nous, ce type de militants ouvriers autodidactes, qui tend à disparaître. Formés par les organisations ouvrières, bons orateurs, bonnes plumes, ils ont constitué la richesse du mouvement ouvrier français à sa naissance.

Martin était un homme résolu.

Pour preuve de sa résolution, j’ai raconté dans le second volume de mes Mémoires cette « folle » nuit où la classe politique, les fesses coincées, s’attendait à voir surgir dans le ciel les militaires venus d’Alger, pour mettre les Parisiens à la raison. Dans ce périple qui cette nuit-là nous fit faire le le tour des permanences syndicales pour mesurer la solidité de la défense, nous trouverons, rue Mademoiselle, Jean-Philippe Martin organisant une riposte éventuelle. Je dois dire que la résolution de Martin et de nos amis de Force ouvrière nous fit chaud au cœur.

L’organisation syndicale, cette dévoreuse de militants, l’éloigna un peu de la Fédération anarchiste et ce fut dommage, car notre organisation a un besoin urgent de militants ouvriers, qui ont les pieds sur terre et qui n’ignorent pas que la révolution sociale ne se nourrit pas seulement de rêves.

Jean-Philippe Martin nous a quittés ! Nous ne l’avons pas accompagné au cimetière. C’est encore un trait de son caractère. Il avait voulu que son corps fut donné à la science. Son souvenir restera parmi nous, comme celui d’un homme de qualité, qui ne nous causa jamais d’autre chagrin que celui de disparaître trop tôt, alors qu’il reste tant de misère à soulager, tant de luttes à partager avant que le grand rêve humanitaire, qui fut le sien, devienne une réalité.

Maurice Joyeux