Accueil > Archives > 1990 (nº 771 à 808) > .801 (8-14 nov. 1990) > [Le Festival Pier Paolo Pasolini de Lille]

Rétrospective

Le Festival Pier Paolo Pasolini de Lille

Le jeudi 8 novembre 1990.

IL y a des manifestations culturelles qui sont d’authentiques événements : nul doute que le Festival Pier Paolo Pasolini, qui se déploiera dans la métropole lilloise du 13 au 27 novembre prochains, en sera un !

Les différents participants

Cette rétrospective Pier Paolo Pasolini a été voulue par le Centre culturel libertaire de Lille qui, depuis plus d’un an, n’a pas ménagé ses efforts pour obtenir les copies des films proposés et réunir les soutiens et les talents nécessaires à la tenue du festival.

Le lecteur jugera de la diversité — et de la qualité — des partenaires associés dans la préparation et la réalisation de l’événement :
— le Centre culturel libertaire, pour qui le lancement d’une manifestation de cette ampleur représente sans nul doute une gageure, mais aussi un bel accomplissement ;
— le Fonds Pier Paolo Pasolini, fondation présidée par l’écrivain Alberto Moravia, récemment décédé, et animée par Laura Betti, dont la vocation est de faire rayonner l’œuvre d’un homme qui fut bien plus qu’un grand cinéaste ;
— l’Institut culturel italien, représentant officiel de la culture italienne dans la région Nord - Pas-de-Calais ;
— l’association Gay-Kitsch-Camp, qui fait beaucoup pour sortir des réserves des bibliothèques les textes fondamentaux des homosexuels d’hier et d’aujourd’hui ;
— le cinéma Le Méliès, salle d’art et d’essai dont la réputation dépasse largement les bornes de Villeneuve d’Ascq ;
— le cinéma Le Kino, sur le campus de Lille III, à Villeneuve-d’Ascq, qui a bien voulu insérer des films de Pasolini dans son programme de novembre ;
— le centre culturel La Rose des Vents, toujours à Villeneuve-d’Ascq. Ce festival Pasolini se propose d’offrir le panorama le plus large sur une œuvre qu’on a trop tendance à limiter au seul domaine cinématographique : il peut être opportun de rappeler que Pasolini était venu assez tard au cinéma et que jamais son activité de cinéaste n’avait éclipsé ses préoccupations d’écrivain, de poète et de polémiste.

Le mardi 13 novembre, à 20 h 30, à La Rose des Vents (M° Hôtel-de-Ville) sera évoqué l’attachement de Pasolini à la défense de la langue vernaculaire du Frioul : la conférence de Anna Rocchi-Pullberg portera, plus généralement, sur le statut des cultures régionales dans les États développés où, trop souvent, la recherche d’une efficacité politique et économique immédiate se paye par la destruction ou l’oblitération du riche patrimoine des traditions locales.

Les films proposés

L’Évangile selon saint-Mathieu (1964) sera présenté le vendredi 16 novembre, à 19 h 15, au Méliès (M° Triolo). Jean-Michel Gardair, professeur de littérature italienne à l’université de Paris IV et Louisette Faréniaux, professeur de filmologie à l’université de Lille III, convieront le public à une réflexion sur le dévoiement du message christique : comment, de fait, expliquer qu’une personnalité et un discours à l’origine profondément subversifs (« je ne suis pas venu vous apporter la paix, mais le glaive ») aient pu être à ce point édulcorés qu’ils n’ont plus guère représenté, au terme d’une rapide évolution, que tyrannie et mensonge, à l’ombre du pouvoir ?

Le samedi 17 novembre, seront diffusés au Méliès, à partir de 17 heures, Théorème (1968) et Salo (1975), deux films-clés qui n’ont cessé, depuis leur sortie, d’alimenter les commentaires. Une présentation conjointe en sera faite par Christine Buci-Glucksmann, universitaire et philosophe, et René de Ceccaty, écrivain et traducteur de Pasolini.

Le corps délivré, négateur de l’ordre bourgeois de Théorème peut se muer en un objet d’aliénation et de destruction de l’individu dans Salo, où il n’apparaît ni plus ni moins que comme un objet de consommation.

Salo n’est pas le long fantasme d’un dépravé, mais le poème tragique d’une société de consommation qui s’avère être un nouveau fascisme, plus subtil mais tout aussi pervers que le précédent.

Cette dimension anticapitaliste du cinéma de Pasolini on la retrouve dans Porcherie (1969) : ce film sera projeté au Kino (M° Pont-de-Bois), le mercredi 21 novembre, à 19 h et c’est Louisette Faréniaux qui nous guidera sur les voies complexes, mais cohérentes, des engagements politiques de Pasolini.

Les engagements de Pasolini

Pasolini avait pris d’autres engagements avec lui-même. On ne peut ignorer son homosexualité, jamais occultée ni dissimulée, simplement vécue avec toutes les exigences et les dangers impliqués par un pareil choix. L’homosexualité comme nature acceptée et objet symbolique à tendre à l’exécration de tous les conformismes : nul doute qu’on en apprenne beaucoup sur ce point lors de la conférence que donnera Patrick Cardon, éditeur des Cahiers GKC, sur les thèmes de l’homosexualité, de l’homoérotisme et de l’homosocialité et de leur conjonction dans les groupes humains ; cette conférence prendra place après la diffusion des Mille et une nuits (1974), le jeudi 22 novembre, à 19 h, au Kino.

Un festival Pasolini, où l’auteur lui-même eut été absent, risquait de se voir privé d’une bonne part de la charge émotive qu’on s’attend à y trouver : on aura donc le loisir de voir et entendre Pasolini du 13 au 17 novembre, à La Rose des Vents, à l’occasion de la diffusion des entretiens télévisés auxquels il s’était prêté entre 1966 et 1975 ; il y exprime des points de vue politiques, esthétiques et moraux qui apportent un éclairage singulier sur le contenu de ses longs métrages et rendent compte de la complexité d’une œuvre qu’on aurait tort de considérer close sur elle-même.

Olivier Denhez (Centre culturel libertaire Benoît-Broutchoux de Lille)