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Des bottes policières dans une une fac de Lille

Le jeudi 6 avril 2000.

Les sans-papiers et leurs soutiens passent à l’offensive. Au-delà des exemples de Nantes et Saint-Denis exposés dans ces colonnes, des mouvements se dessinent à Rouen, Toulouse, Lyon ainsi qu’à Lille où les sans-papiers se sont fait délogés de l’IEP.

On peut rappeler que la loi Chevènement a durcit la législation en ce qui concerne les étudiants sans-papiers en conditionnant la régularisation d’une personne ayant été étudiante (même une fois) à quinze ans de présence sur le territoire, qu’il faut évidemment prouver, au lieu des dix requis par la loi Pasqua. Le but est, vous l’aurez compris, de créer un droit spécifique « étudiant sans-papiers » tout comme il existe un droit d’asile spécifique pour les Algériens (asile territorial remplaçant l’asile politique).

Ce fractionnement des cas empêche tout mouvement unitaire et toute conscience commune chez les sans-papiers. Cela marche redoutablement bien puisque les étudiants sans-papiers viennent tout juste de rejoindre les collectifs unitaires à Saint-Denis. Auparavant, on ne les avaient jamais vus aux manifs communes. Par ailleurs, les préfets ont envoyé à tous les directeurs d’université une circulaire pour les enjoindre de dénoncer systématiquement les irréguliers qu’ils auraient dans leurs fichiers.

Rappelons aussi que le renouvèlement des titres de séjour étudiants se fait d’une année scolaire sur l’autre et qu’il est subordonné à la réussite de l’intéressé (on va à la préfecture avec le relevé de notes).



Depuis le 15 mars, le Comité des sans-papiers de Lille (le CSP-59) occupe de nouveau des lieux publics. L’Institut d’études politiques, d’abord, jusqu’à ce qu’il en ait été expulsé le 25, la Bourse du travail ensuite. Depuis son expulsion du CHR de Lille et la dernière grève de la faim en décembre et janvier dernier, celui-ci avait été accueilli, en accord avec la mairie et l’Église catholique, dans les locaux de la JOC dans l’attente d’un vrai local de lutte des sans-papiers. Ces locaux exigus ne suffisaient même pas à accueillir les participant-e-s aux AG, et surtout, l’Église s’opposait à toute grève de la faim. Ainsi, garrotté, le comité a dû subir les provocations de la préfecture du Nord : contrôles au faciès devant le local ; retards pour les papiers des grévistes régularisés (sous prétexte d’un bogue de l’an 2000… qui dure encore en mars !) ; une pluie de refus de régularisations ; report des négociations… Et le 14 mars, l’arrestation en préfecture d’une femme sans-papiers, alors qu’elle venait redéposer son dossier à la demande de l’administration.

Le 15 mars, le Comité investit donc l’IEP de Lille. Le directeur de la vénérable institution le reçoit à bras ouverts. Il promet notamment de ne pas recourir à la police (il fera volte-face dès le lendemain et leur demandera de partir). Les sans-papiers décident donc de rester et s’installent à une centaine dans le foyer étudiant.

Ainsi débute une épreuve de force qui mobilisera largement les étudiant-e-s de l’I.E.P. et des facs lilloises, avec des manifestations de plusieurs centaines et plusieurs milliers de pétitionnaires. Cette mobilisation étudiante constitue une heureuse surprise. Des messages de solidarité parviennent d’une quinzaine de facs et de sept IEP.

Sur place, la tension monte rapidement. Dès le mercredi 21, après le passage d’un huissier pour constater l’occupation, les sans-papiers commencent à se préparer à l’évacuation. Plusieurs dizaines d’étudiant-e-s (entre 30 et 60 sur quelques 300) passent les nuits qui suivent dans l’école. Il ferait pourtant beau voir que la police pénètre dans une institution universitaire ! C’est pourtant ce qui se passera le samedi 25 à 6 heures du matin, sur demande du directeur de l’école.

La mobilisation s’organise

Les étudiant-e-s, surpris par la discrétion et la rapidité de l’arrivée des CRS, ne peuvent défendre l’entrée du foyer. Regroupé-e-s en sit-in dans le hall, tous et toutes sont évacué-e-s plus ou moins violemment. Plusieurs dizaines de personnes, prévenues par téléphone, se rassemblent déjà devant la rue de l’IEP, bloquée par le CRS. Les slogans fusent, réveillant le quartier.

Après celle des étudiant-e-s seulement commencera l’évacuation des sans-papiers barricadés dans le foyer. La détermination est alors beaucoup plus grande et l’expulsion sera plus longue. Mais il n’y a eu heureusement aucune arrestation. 300 personnes se sont ainsi retrouvées à battre le pavé, ce samedi vers 7 h 30 du matin, aux cris de « Solidarité avec les sans-papiers ». Direction la Bourse du travail, où les sans-papiers comptaient bien trouver refuge, comme ce fut le cas lors de l’évacuation de leur local le 19 novembre dernier. Ils devaient rencontrer quelques déconvenues.

Les responsables de l’Union départementale CGT, présents dès 9 heures, n’accueillerons une délégation des sans-papiers que vers midi, alors que ceux-ci piétinent dans la cour du bâtiment depuis 8 h 30 ! À 14 heures, l’entrevue s’achevait sans solution pour les sans-papiers. La Région métallurgie CGT décide alors, contre l’avis de l’Union départementale, d’ouvrir la même salle qui avait accueilli les sans-papiers en décembre. Tandis que la salle Delory, appartenant aux trois centrales syndicales (CGT, FO, CFDT) s’ouvrait sans que personne n’en eut la clé. Une centaine de personnes se partagent les lieux.

La différence avec l’accueil dont avait bénéficié le CSP-59 en décembre est très nette, même si des syndicats soutiennent sans réserve le mouvement. Le mercredi 29, l’UD se fendait d’un courrier embarrassé au CSP-59 lui demandant, au nom de son soutien et de l’indépendance syndicale (sic !) de quitter les lieux. Le Comité des sans-papiers a réussi, en réoccupant les lieux publics, à se sortir de l’impasse dans laquelle l’avait plongé son accueil chez les curés. La base du soutien s’est élargie avec l’arrivée des étudiant-e-s. Certain-e-s d’entre eux se sont d’ailleurs rendu-e-s à la manifestation des étudiant-e-s sans-papiers à Paris le mardi 28 mars.

Le rapport de force est à nouveau engagé avec la préfecture. Le CSP lui laissait jusqu’au mercredi 5 avril pour reprendre les négociations, avant de décider d’entamer ou non une neuvième grève de la faim.

Martin Zumpe et Bertrand Dekoninck. — groupe de la Métropole lilloise