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Jules Rathier

mars 1960.

La disparition de Jules Rathier n’a pas seulement attristé les milieux libertaires, qu’avant sa longue maladie il fréquentait assidument, mais également la population dense qui se presse autour de la Contrescarpe et le long des ruelles qui grimpent au flanc de la Montagne Sainte-Geneviève. Le quartier des Écoles, où il vendait les journaux à la criée, l’avait adopté et il était devenu un élément représentatif de la bohème qui y vit du souvenir de Villon et s’adapte mal aux temps modernes.

Rathier était venu à notre Fédération anarchiste par le truchement des groupes individualistes et il avait conservé dans son aspect extérieur un peu de cette tournure mise à la mode par Zo d’Axa et qui réjouit des générations d’échotiers. Sa tête biblique avait souvent inspiré des barbouilleurs à la recherche de sujets et c’est un de ces portraits que nous avions publié dans la page littéraire du premier numéro de notre Monde libertaire.

Doué d’une grande finesse d’esprit, Rathier avait assimilé une immense lecture et s’il continuait à soigner attentivement son personnage, il sentait les problèmes que pose le monde moderne aux hommes, avec une acuité qui, ces dernières années, l’avait rapproché de notre goupe libertaire Louise-Michel. La douloureuse maladie qui devait l’emporter le tenait éloigné de nous et ses seules joies en dehors de courtes permissions qu’il passait au milieu de ses amis du quartier latin étaient la rédaction des courts articles qu’il donnait à notre journal.

Fidèle à sa légende, Jules Rathier qui sentait sa fin prochaine s’échappa du sanatorium où la maladie le clouait pour venir mourir au cœur de la Montagne Sainte-Geneviève qu’il avait tant aimée et avec laquelle il s’identifiait.

Nous n’avons pas fait avec Jules Rathier le bout de chemin que nous faisons avec ceux qui nous quittent. Son corps, qu’il avait légué à l’école de médecine, franchit pour la première et la dernière fois la porte qui perce le haut mur gris à l’ombre duquel il avait vécu.

C’est un peu du romantisme anarchiste qui nous quitte avec lui et nous ressentons l’amère tristesse des disparitions définitives.

Maurice Joyeux