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Grève dans l’audiovisuel public

Coup d’arrêt à la libéralisation !
Le jeudi 2 décembre 1999.

La loi Aubry sur l’aménagement et la réduction du temps de travail n’a pas fini de faire parler d’elle. Les conséquences de cette loi qui vise plus à réorganiser le travail au profit du patronat (productivité et flexibilité des salariés accrues) qu’à créer des emplois ont été largement décrites dans les colonnes du Monde libertaire. Aujourd’hui, la stratégie du gouvernement, qui consistait à faire croire que la gauche plurielle agissait pour améliorer le sort des salariés en abaissant le temps de travail et en créant de l’emploi face à un patronat intransigeant, ne leurre plus grand monde. Le gouvernement Jospin a la même attitude vis-à-vis des salariés du service public que le MEDEF vis-à-vis des salariés du secteur privé.

Toute la problématique du rôle de l’État dans les missions de service public de l’audiovisuel public (INA, RFI, RFO, Radio France, France 2, France 3) est résumée dans l’interview de Hervé Bourges au Monde du 23 novembre : « l’audiovisuel public sera de moins en moins un bloc monolithique soumis à des règles uniformes et de plus en plus un ensemble d’entreprises modernes, capables d’appuyer leur développement sur des stratégies différentes, y compris en matière sociale ». En clair : pour installer l’audiovisuel public dans le secteur concurrentiel et ouvrir à moyen terme le capital de ces entreprises aux capitaux privés, il faut, premièrement des missions de service public à minima, deuxièmement une protection sociale disparate entre les différentes sociétés pour mieux justifier par la suite une remise en cause de la convention collective de l’audiovisuel public. Ce mouvement est d’ailleurs engagé depuis longtemps, les disparités de salaires et d’organisations du travail entre les différentes sociétés sont indéniables. La mise en place des 35 heures est le moyen pour l’État d’accélérer fortement ce processus. Le gouvernement a donné le feu vert pour l’ouverture de négociations entreprise par entreprise le plus tard possible, avec pour objectif que l’annexe 7 de la convention collective sur l’organisation et la durée du travail soit, de fait, réduite à une peau de chagrin. Il était de la responsabilité des organisations syndicales de considérer qu’une convention collective où les dispositions sur la durée du travail ne s’appliqueront plus à toute les entreprises signataires de manière identique est démantelée.

Une unité syndicale de courte durée

Le 25 octobre, l’ensemble des syndicats nationaux (CFDT, CGT, FO, CFTC, SNJ) s’adressaient dans une lettre ouverte à Mesdames Trautmann, Aubry et Monsieur Strauss-Kahn (encore en fonction à cette date) pour obtenir des créations d’emplois compensant le passage aux 35 heures, un financement de ces emplois, une réduction du temps de travail équivalant à 22 jours annuels et non pas 16 jours comme l’exigeait le contrôle d’État, le respect de la Convention collective de la Communication et de la Production Audiovisuelle (avec ses annexes et avenants), l’arrêt de la modération salariale (0 % d’augmentation du point d’indice servant de base au calcul des salaires depuis deux ans). Pour appuyer ces revendications, les sections syndicales d’entreprises étaient appelées à déposer des préavis de grève unitaire pour une grève à partir du 16 novembre et, en conséquence, suspendre toutes les négociations dans les sociétés. La réponse des ministères de tutelle, par la voix de Mme Trautmann, fut de réaffirmer la modération salariale, la négociation entreprise par entreprise, le financement des emplois créés en fonction du résultat de ces négociations. Évidemment de bonnes négociations n’ont pas le même sens pour Mme Trautmann que pour les salariés.

Les conditions étaient donc réunies pour qu’un fort mouvement de grève se déclare dans l’audiovisuel public et il eut lieu : 10 jours de grève à Radio-France, 4 à 7 jours de grève à l’INA, RFI, France 3 et France 2. L’unité syndicale était le préalable nécessaire pour faire plier la volonté gouvernementale. Celle-ci fut de courte durée : dès la veille de la grève, la CFDT (Syndicat de poids avec la CGT) et les syndicats de journalistes affirmaient ne plus défendre en préalable la négociation au niveau de la convention collective et de l’Association des employeurs mais retourner négocier dans les entreprises. Chacun pourra interpréter comme il le voudra ce retournement de veste, toujours est-il que la CFDT s’est faite (pour une fois ?) l’allié objectif de la politique gouvernementale.

Radio-France : une situation particulière

L’analyse sur le lien évident entre les 35 heures et les missions de service public avait déjà été formulée par les personnels concourant à la fabrication des émissions de France Culture en grève le 9 novembre. Ceux-ci, conscients de la désorganisation de la chaîne, de la baisse des productions de fictions et documentaires élaborés, avec toute les conséquences en terme d’emploi pour les salariés au cachet (producteurs, réalisateurs, comédiens, bruiteurs) et d’intérêt du travail étaient déjà mobilisés.

La CFDT décidait de jouer cavalier seul en ne soutenant pas cette grève. Pire, elle déposait un préavis de grève pour le 16 novembre sur une plate-forme minimaliste : Le nombre d’emplois créés par la RTT, la communication de l’intégralité du projet 35 heures de la direction, un nombre de jours RTT de 22 et non pas 16. Alors que dans toutes les autres entreprises de l’audiovisuel public des préavis de grève intersyndicaux étaient déposés, les salariés de Radio-France se rendirent à la bataille en ordre dispersé. Dès le premier jour de grève, la CFDT ne chercha pas à débattre avec les salariés ni à faire accepter ses positions. Elle partit vite négocier avec la direction pour signer deux jours plus tard un protocole d’accord de fin de grève avec la direction en obtenant 50 emplois supplémentaires par rapport au projet initial (175 emplois seulement alors que Radio France emploie 3 500 salariés hors cachetiers) et en se satisfaisant de garanties orales et floues sur le respect de la convention collective et du financement par l’État de ces emplois. Les motions de défiance des personnels en grève contre la CFDT succédèrent aux envahissements de la salle de négociation.

La CGT, quant à elle, intégra l’ensemble des préoccupations des personnels : La plate-forme nationale sur les 35 heures, le refus du démantèlement du réseau FIP, de la réorganisation non budgétisée des radios locales de Radio France, la baisse de production sur France Culture… La CGT se retrouva la seule organisation syndicale à porter les revendications des personnels et Radio France se retrouva la seule entreprise de l’audiovisuel public encore en grève pour défendre la plate-forme nationale. La CFDT ayant levé partout ses préavis au bout de quatre jours, la CGT au bout de 5 à 7 jours dans les autres entreprises.

La grève, qui montrait dans ces conditions des signes évidents d’épuisement, s’est terminée après dix jours de conflit à Radio France. Après une nuit de 6 heures de négociations et après avoir consulté les salariés, la CGT signa un protocole de fin de grève en 17 points qui garantissent la convention collective (maintien des jours de congés, des primes diverses, que les emplois créés servent uniquement à compenser la réduction du temps de travail, que les bas salaires ne voient pas leurs revenus baisser par la suppression des heures supplémentaires, la possibilité de revaloriser les cachets,…). La force de ce conflit, malgré toutes les difficultés que cela peut engendrer, fut que les personnels restèrent maîtres du début jusqu’à la fin de leur mouvement et de leurs revendications à travers des assemblées générales décisionnelles et des délégations comprenant des syndiqués et non syndiqués. Il est certain que la fin de la grève n’est pas la fin de la mobilisation : pétition à Jospin, participation à des manifestations, information sur l’état des négociations sur les 35 heures qui se poursuivent, voire nouveaux préavis de grève sont à l’ordre du jour. L’émotion partagée par l’ensemble des salariés, y compris ceux qui avait repris le travail, au cours de la dernière assemblée générale, montre que la CGT sort renforcée de ce conflit et que les salariés ne regrettent en rien d’avoir entamé une lutte qui ne fait que commencer.

Un militant de la FA, salarié de Radio-France