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Cinéma

17e festival de Turin

Le jeudi 2 décembre 1999.

Au fil des jours apparaît de plus en plus clairement qu’il s’agit ici d’un festival ouvert à toutes sortes de films, aux origines les plus diverses : voir à minuit un film sur la punk expressionniste Nina Hagen=punk+glory de Peter Sempel, suivre une des plus grandes rétrospectives jamais organisées sur le cinéma portugais, une des plus intéressantes cinématographies européennes ; assister à la rencontre de Mario Martone, metteur en scène de théâtre tournant des films étonnants comme Théâtre de guerra (qu’on peut trouver à l’affiche à Paris) avec Laura Betti, amie et égérie du poète Pier Paolo Pasolini Una disperata vitalità, puis en discuter après la projection, tout ceci est possible au festival de Turin.

Sur les 12 films en compétition, onze viennent de pays différents. De Tunisie, un film de Mahmoud Ben Mahmoud, Les Siestes grenadines, travaillant l’impossible rapport du Nord avec l’Afrique noire, créant une intrigue compliquée, où la fille blanche, issue d’un mariage mixte, sert de trait d’union entre arabes et musulmans, blancs et noirs, musiques d’esclaves du Soudan, la musique arabo-andalouse… mais ce « trop » nuit à l’efficacité du film, car, en définitive, émerge le désir de la mère, la France, et le fantôme colonial. Si la langue française peut avoir un rôle unificateur, la réconciliation Nord-Sud ne peut se faire en ces termes ambivalents.

[ image à récupérer : Ressources humaines ]
Ressources humaines de Laurent Cantet cible le monde du travail, s’attaque par un film très maîtrisé aux 35 heures. À ce titre, son film n’est pas seulement en compétition, mais concoure aussi pour le meilleur film sur le monde du travail, le prix « Cipputi ».

Un jeune réalisateur italien chasse aussi dans ces parages mais s’intéresse davantage aux jeunes sans travail ou à la recherche de… Fuori di me est un film très fort sur cette demande, ce désir d’exister et de vivre ludiquement aujourd’hui. Là aussi, on va du Nord (les villes italiennes) au Sud désœuvré, où il faudra négocier avec la mafia locale les modalités de montrer un film, en train de se faire. D’Amérique arrive un jeune paumé Bobby G. can’t swim de John Luke Montins. Entre « À bout de souffle » et le documentaire sur l’absence de repères affectifs et ethniques, le film trace tranquillement son chemin. Proche de l’univers éclaté que traduisent au mieux les courts-métrages, nous sommes saisis par cette authenticité transmise au premier degré.

On retiendra des courts le très drôle Amour platonique de Philipp Kadelbach qui nous roule dans la farine du suspens, le très émouvant Promesse granata de Silvia Innocenzi, la terrible histoire de l’accident mortel de toute une équipe de jeunes footballeurs ou Anna ! de Costanza Quadriglio d’une maîtrise esthétique proprement stupéfiante. D’Iran vient encore un de ces films merveilleux, où un enfant trouve sa voie en toute simplicité. Ziarat de Medhi Jafari s’appuie sur un ancrage essentiel où le respect de l’autre est encore un ressort intact de la vie communautaire. Cela permet à cet enfant d’exister librement et d’illuminer par ses gestes le paysage très aride de l’Iran rural. Subsiste le thème du religieux qui est traité ici comme dans beaucoup de films de ce festival par la truchement des reliques, relié aux saints et au maraboutisme. À ce stade primitif d’avant les religions instituées comme idéologies, l’humain, dans sa diversité, a droit de cité.

Heike Hurst (« Fondu au Noir »- Radio libertaire)