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Colère

mars 2019.

Un petit bout de fil dépasse. Tu tires dessus. Le voile se détricote, petit à petit d’abord, puis à toute vitesse. Elle a été abusée sexuellement. À 4 ans. Un voisin. Puis à 14 ans. Son oncle. Plusieurs fois. Tu tires encore le fil. Sa sœur a subi les assauts du même homme, entre ses 8 ans et ses 10 ans. Les mailles t’échappent. Tu racontes autour de toi, tu questionnes, tu cris. On te répond que tel ami aussi. Violé par un jeune adulte alors qu’il avait 5 ans. Une autre encore : attouchée par sa sœur, de ses 6 ans jusqu’à ses 10 ans. Combien sont-ils, combien sont-elles, autour de toi ? Tu cherches des statistiques : 1 fille sur 3 et 1 garçon sur 5 seront abusés sexuellement avant leurs 18 ans. Le plus souvent les enfants connaissent leurs agresseurs. Dans un cas sur deux il s’agit de personnes de leur famille. Les violences sexuelles commises sur les enfants ne sont pas l’apanage d’une classe sociale : elles s’immiscent dans toutes les sphères de la société.

Ils crient, ils ont crié, ils ne cessent de hurler depuis ces gestes, depuis ces lacérations qui ne se refermeront jamais. Et personne ne dit rien. Personne ne les écoute. Personne ne les entend. Personne ne veut voir. Les familles se taisent. Même après les mots, même après la révélation, même après cet immense acte de courage qu’il leur faut à elles et à eux pour parler, personne ne dit rien. On minimise, on oublie, on efface, on demande de pardonner. Parce que ces violences se produisent dans le giron de la famille, dans cette sacro-sainte famille, dans le cercle des proches. Il faut sauver les apparences. Comprendre, atténuer, concilier.

Il n’y a rien à concilier, rien à comprendre, rien à sauver. L’entourage n’en est pas un, lorsqu’il détruit des individus, lorsqu’il refuse de les accompagner, lorsqu’il bafoue leur parole et leur intégrité.

Ces viols et ces agressions sont le fait d’hommes et de femmes responsables mais aussi de familles qui se taisent ou qui nient. Votre silence détruit leurs vies autant que les gestes immondes de leurs agresseurs. Votre silence fait de vous des complices.

Une agression sexuelle, commise sur un adulte ou sur un enfant, n’est jamais anodine. Elle porte profondément atteinte à l’individu, l’agresse dans sa chaire, meurtrit son esprit, atteint son estime, le prive souvent de force pour aller de l’avant.

Violences envers soi-même, troubles psychiques, agressivité, comportements à risque (notamment sexuels), auto-mutilation, addictions, crises d’angoisse, troubles du sommeil, isolement.

Les violences sociales se chargent bien souvent de redoubler ces violences physiques, psychologiques et familiales. Abusé.e.s sexuellement, ils et elles seront d’autant plus vulnérables, marginalisé.e.s. Emplois précaires, relations instables, maltraitance, happé.e.s inexorablement par toutes les violences. Après la famille, ce sera au capital de venir les broyer. Les monstres profitentles uns les autres de leurs rebus.

Rien, pas même la famille, ne peut légitimer de passer de telles violences sous silence.

Anarchistes, nous vomissons toutes les structures de domination : l’État, les mysticismes, le capital et la famille.

Odile - Graine d’Anar, Lyon