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Peut-on réunifier le mouvement communiste libertaire ?

Le jeudi 21 décembre 1989.

Des choses ont évolué depuis quelques années dans la mouvance libertaire. La FA a reconnu la lutte des classes et Le Monde libertaire accorde une place plus grande aux luttes qu’à l’idéologie.

L’OCL a dépassé sa période « autonomie parisienne » et s’est dotée de Courant alternatif dont le fonctionnement et le contenu représentent une avancée pour tous les libertaires.

L’UTCL ne se tourne plus exclusivement du côté des gauchistes et redécouvre qu’il existe des pratiques possibles en dehors des syndicats.

Entre ces trois organisations, le sectarisme est moins grand. La FA a ouvert sa librairie et les colonnes du ML aux autres composantes organisées du courant anarchiste. L’OCL accueille à son camping annuel des camarades d’autres tendances et les colonnes de CA sont ouvertes à tous les communiqués. L’UTCL a pris l’initiative des rencontres entre communistes libertaires.

Mais on ne saurait réduire la mouvance communiste libertaire à ces trois organisations. Dans plusieurs villes des libertaires d’appartenances diverses ou indépendants travaillent ensemble dans des pratiques spécifiques (antiracisme, scalp, antinucléaire, soutien aux kanaks, etc.).

D’autres outils existent en outre dans cette mouvance : Noir et Rouge dont les dossiers sont susceptibles de jouer un rôle de débat et d’analyse « trans-tendance », Réflexes, ainsi que des lieux et des journaux locaux, surtout en province. Enfin, plus récemment, dans ce contexte évolutif, la relative émergence de la CNT constitue un phénomène à prendre en considération.

Globalement, le nombre de militants libertaires n’a peut-être pas augmenté depuis dix ou quinze ans, mais ils sont plus nombreux à être investis dans des luttes dont ils semblent se préoccuper du développement au moins autant que de celui de leur propre chapelle ou de la stricte idéologie anar.

Un autre élément important dans la composition de la mouvance communiste libertaire, la présence, pour la première fois depuis très longtemps, d’une « génération intermédiaire » (les 30-50 ans). Le mouvement avait traversé la période de montée des luttes (65-75) avec uniquement des jeunes ou des très jeunes, et des anciens ; ce qui entraînait nombre de problèmes politiques vers des conflits de générations insolubles, entre les « remuants non fiables » et les « gardiens du temple ».

Autant d’éléments qui laissent à penser (dans un contexte de lente recomposition sociale et politique) qu’il existe des possibilités objectives de repenser collectivement l’efficacité et l’existence du mouvement libertaire de lutte de classe.

Faut-il pour autant raisonner en terme de nouvelle organisation ? Cela nous semble un peu prématuré dans la mesure où nous considérons que la construction d’une nouvelle organisation ne peut qu’être le résultat d’une démarche et d’un processus mis en place et non un point de départ volontariste. C’est qu’au-delà des rapprochements et des convergences possibles il existe encore des points de divergence qui ne sont pas seulement issus du sectarisme ou de l’histoire de chaque sensibilité ; et que l’on ne pourra les dépasser QUE dans des pratiques communes et surtout dans les bilans que nous tirons de ces pratiques.

Il y a des points à débattre et à éclaircir :
— Le rôle d’une organisation révolutionnaire, son rapport aux mouvements, son fonctionnement, son apparition. Même si en théorie on peut se mettre d’accord, il n’empêche qu’il subsiste des différences dans la pratique.
— Le syndicalisme ; le rapport aux centrales existantes et aux minorités « révolutionnaires » en leur sein. Peut-on encore raisonner avec les vieux schémas qui placent d’un côté le syndical et de l’autre le politique ?
— Repenser l’action politique en dehors des schémas issus de l’ère industrielle première mouture, avec la prédominance d’une forme particulière de prolétariat (voire brochure OCL Une période finissante).

Les trois organisations précitées présentent encore des faiblesses. Dans la FA sont encore présentes des pesanteurs purement idéologiques et sa cohésion provient encore trop de « réflexes de boutique » et pas assez de points communs politiques permettant l’adhésion non pas sur des idées, mais sur des pratiques et des stratégies dans des mouvements sociaux.

L’UTCL s’est trop engagée dans le syndicalisme jusqu’à avoir souvent comme pratique le militantisme à l’intérieur du syndicat « lieu social » : bagarres d’appareil, croyance en l’avenir possible des oppositions syndicales. Sur le plan politique, une tendance trop marquée à pratiquer le front commun avec les groupes gauchistes. Quant à l’OCL, son refus de tomber dans les pièges critiqués chez les autres lui a permis d’être une plaque plus sensible vis-à-vis des mouvements sociaux, mais en même temps l’a poussée à des dérives non maîtrisées par trop spontanéistes. L’immersion de ses membres dams des mouvements larges a écarté pendant un temps la préoccupation de l’apparition spécifique et de jouer un rôle de « mémoire » pour les militants.

Une nouvelle organisation devrait par conséquent dépasser les « tares » des précédentes. Se préoccuper de son apparition mais sans que celle-ci ne soit du « spectacle boutiquier ». S’homogénéiser de façon à ce que sur chaque sujet l’organisation n’ait pas, en son sein, des points de vue radicalement différents qui la paralyserait (et qui surtout auraient comme conséquence un temps trop grand passé dans des « problèmes internes », sans pour autant que les conflits puissent être résolus). Il ne suffit pas de dire que l’organisation ne doit être qu’un moyen — là-dessus tout le monde est d’accord — encore faut-il que cela se voit, et se donner des garanties pour qu’elle ne le devienne pas. Et la seule garantie est l’implication de ses militants dans des pratiques plus larges et collectives, avec des objectifs relativement semblables, et pour qui ces pratiques sont le but et l’organisation spécifique un moyen de mieux les mener et d’aider les mouvements à se doter d’axes stratégiques clairs.

La condition sine qua non pour parvenir un jour à ces objectifs est que se mettent en place des lieux d’échanges et d’information sur les pratiques et les stratégies de chaque « famille » à l’intérieur de tel ou tel secteur de lutte.

Organisation communiste libertaire