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Sur le terrain des radios libres

Radio-Campus

vingt ans de liberté
Le jeudi 4 avril 1991.

Contre vents et marées, Radio-Campus a su préserver son indépendance depuis sa création. Hors des circuits commerciaux et du show-business, elle s’est imposée sur la bande FM comme libre de toute attache politique, commerciale, financière, confessionnelle ou autre. Outil de communication, elle donne la parole à l’ensemble du monde universitaire et scolaire, à toute association culturelle ou de loisirs et aux minorités ethniques et politiques vivant dans la région du Nord. Créée en 1969, Radio-Campus est la première radio libre associative en France. Elle se situe sur la cité scientifique de l’université de Villeuneuve-d’Ascq (à 5 kilomètres de Lille) et émet sur la modulation de fréquence en 91.4 MHZ. Aujourd’hui l’association « Radio-Campus » a vingt et un ans. Son histoire et son identité font d’elle un exemple qui mérite d’être rapporté.

C’est après les événements de Mai 1968 où les mondes estudiantin et ouvrier étaient en ébullition que bon nombre d’universités en France se sont vues transférées à l’extérieur des grandes agglomérations de la métropole. Dans ce cadre, en 1969, le campus de Lille-Annappes est en construction. Deux résidences universitaires où logent 1 500 étudiants et les bâtiments de recherche et d’enseignement sont en pleine campagne à 2 kilomètres de la première habitation et à 8 kilomètres du centre de Lille. À part la télévision et le ping-pong, il n’y a aucune activité. Le campus universitaire est un véritable désert culturel. Un étudiant en électronique, Christian Verwaerde, l’actuel président de l’association « Radio-Campus », décide de fabriquer un émetteur de radio et de créer un « club radio ». C’est la naissance de Radio-Campus. La station diffuse dès mars 1969 quelques heures hebdomadaires de musique. C’est immédiatement le succès. Jusqu’en 1974, la station tourne sans problème et son succès va grandissant : 12 heures d’émissions quotidiennes. Mais ce succès dérange et va provoquer des réactions des pouvoirs publics (ORTF, police, DST…) et de la SACEM, qui par des moyens indirects obtiennent la fermeture de la station. Dès la rentrée universitaire de 1975, Radio-Campus est déclarée officiellement en préfecture, comme association loi 1901. À partir de ce moment, elle reprend le combat et avec le soutien des autorités universitaires commencent de longues démarches juridiques et administratives dans le but d’obtenir la dérogation au monopole de radiodiffusion, déjà prévue par la loi de l’époque. L’association redémarre ses émission régulièrement pendant quelques semaines, puis doit les interrompre de nouveau après l’intervention musclée des pouvoirs publics (toujours les mêmes) et de la SACEM. En 1977, le virus « radio libre » gagne du terrain. Radio-Campus n’est plus seule. Suivant son exemple d’autres radios commencent à émettre en France (Radio-Lille, Radio-Calamine-Roubaix, Radio-Détrakés-Tourcoing, Radio-Uylenspiegel-Cassel et Radio-Quinquin…). En 1981, c’est la victoire. La loi autorise les radios libres ; c’est le grand boom et un nouveau départ pour Radio-Campus. Cependant l’association ne serait pas ce qu’elle est sans son identité et sa sensibilité libertaire. Grâce à cet esprit, elle réaffirme ses valeurs : défense de la liberté d’expression, indépendance financière par le rejet en bloc de la publicité et développement de l’éducation populaire. La station Campus se révèle d’abord comme un lieu de libre expression. Les grands médias ont de plus en plus tendance à concevoir l’information comme un produit à vendre à un public. La démarche de Campus est au contraire de donner aux auditeurs et auditrices une information au sens le plus large. Une priorité : échanger les idées et les cultures en profitant des richesses politiques, philosophiques et ethniques de notre région. On peut noter sur la grille des programmes de Radio-Campus à titre d’exemples deux émissions anarchistes « Humeurs Noires » et « La voix sans maître » et plusieurs expressions de la culture africaine « Pêle-mêle afro-variétés » et « Al Ayme ».

Cette radio, par ailleurs se définit aussi par son caractère non-commercial. Il suffit d’écouter Christian Verwaerde : « Pour assurer notre indépendance, nous sommes convaincus depuis de début de la radio que la forme associative réelle est la meilleure structure d’organisation et qu’il est indispensable de fonctionner sans faire appel à la publicité commerciale. Tous les adhérents de notre association sont des animateurs bénévoles et autonomes dans le choix de leurs programmations ».

Enfin cette association se veut un lieu de formation pour les étudiants et l’ensemble de la population de la région. Grâce à la solidarité et l’entraide Radio-Campus forme ses animateurs, animatrices, auditeurs et auditrices à conserver un esprit d’analyse et de critique. C’est ainsi que de nombreux journalistes, pour ne citer qu’eux, ont fait leurs premières armes à Campus : Philippe Lefait (A2), J.-M. Lobry (TF1), François Dumas (Libération), Bertrand Verfaillie (le Monde de l’Education)…

Après une longue période de lutte et de combats pour libérer les ondes qui a aboutit en 1981, rappelons-le à l’ouverture de la radio aux différents acteurs de la vie associative, culturelle mais aussi malheureusement aux puissances de l’argent (radios FM commerciales), Radio-Campus a su rester fidèle à ses idéaux de 1969 : liberté d’expression, communication sociale locale, indépendance vis-à-vis des pouvoirs politiques et financiers. Elle est restée une véritable radio associative entièrement animée et administrée par des bénévoles. Espérons pour l’avenir que le vent de liberté qui souffle sur Radio-Campus demeure à jamais et que toutes les luttes sociales pour l’émancipation des individus trouveront toujours un échos favorable en son sein.

Claude Cotton