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SOS

Sauvez nos âmes

novembre 1960.

Le paquebot « République V », de la Société à responsabilité indéterminée de Gaulle et Compagnie, donne de la bande.
C’était prévu…
Hâtivement construit sur les chantiers de l’Illégalité par la société Massu, Soustelle et consorts avec matériels et matériaux récupérés sur République IV, République V avait été badigeanné du vert de l’Espérance.



Deux ans ont passé… et le vert espérance a viré au vert charogne.

Le radio de bord, le triste Jean Nocher, véritable hybride de Cyrano et de Tartufe, parodiant en sanglots longs et amers le J.-H. Paquis d’antan, jette sur toutes les ondes des postes étatiques ses cris d’alarme : SOS, SOS… Tantôt caustique, tantôt bonhomme, virulent, toujours infatué de soi-même, il continue à s’attaquer à tout ce qui ou quoi n’est pas accommodé à la sauce gaulliste.

SOS ! C’est la jeunesse de France qui ne veut plus croire au Père Noël, à la justice des hommes et, encore moins, aux billevisées gouvernementales.

SOS… C’est plus de dix millions de signatures en faveur de la laïcité ;

SOS C’est la mutinerie Ortiz-Lagaillarde.

SOS c’est la montée en flêche des prix ; la stagnation des salaires, pensions et prestations diverses ; c’est le scandale de la viande, des farines et du sucre ;

SOS… C’est le mécontentement de la paysannerie, des viticulteurs, c’est la guerre des charettes et des artichauts pourris ;

SOS… C’est le parlement mis aux arrêts, les décrets à la sauvette, pris à contre-courant ;

SOS… C’est encore le Super-Montoire ; c’est la collaboration reprise et étendue (on n’attend plus que les affiches « engagez-vous dans le LVF ») ;

SOS… C’est l’échec de Melun ;

SOS… C’est toujours des deuils sur des morts et des morts sur des deuils pour une Algérie française que rien ne justifie ; ce parce qu’elle est un non-sens ethnologique, politique et géographique ;

SOS… C’est la guerre des manifestes ;

SOS… C’est bientôt le procès des ultras ;

SOS… C’est la force de frappe atomique plutôt mal accueillie ;

SOS… C’est la mendicité réitérée pour les sinistrés du Sud-Ouest (on a des centaines de milliards pour l’armement, mais pas une flêche pour les sans abris !) ;

SOS… C’est le procès Jeanson et tout ce qui en découle ;

SOS… SOS…

Ainsi d’écueils en récifs, de récifs en écueils, de Charybde en Scylla, pourri jusqu’aux moelles, rongé dans ses tripes, République V s’en va à la dérive.

Seul, aussi grand que son mat de misaine, stoïque sous l’orage le commandant-Président implore sainte Jeanne d’Arc et la Madone que le vent d’un nouveau référendum ne l’emporte à tous les diables de Colombey-les-deux-Églises.

Sans désamparer, à grands coups de discours, de gueuletons-princesse, il sonde, il sonde des côtes bretonnes à l’embouchure de la Seine. Infatigable ; il sonde et il parle. Commandant sans peur ni reproches, il envisage même de remonter l’arche de Noë en Isère ou en Savoie.

Qu’il pleure, sourit, se lamente ou menace… itou ! République V continue à faire de l’eau, pour ne pas dire de… l’huile ! Dejà pour éviter d’être emportés par le remous du naufrage, les rats de la politique se jettent à l’eau à qui mieux mieux. Qu’ils soient Socialistes, Radicaux, Indépendants ou MRP, les rats fuient… ils fuient, ils fuient les rats du pouvoir…

Seuls, ceux de l’UNR, équipage étatique et statique reprennent, en chœur :

SOS… SOS…

Souvenons-nous de ceux du RPF

Souvenons-nous de ceux de Poujade

SOS… Amen !

Jean Émery