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Les Signatures et les manifestes

novembre 1960.

« Des fois je me dit que tu joues à me croire et que tu ne me crois pas vraiment et d’autres fois que tu me crois au fond mais que tu fais semblant de ne pas me croire » (Les Mains sales, troisième tableau, scène 5).



Cette réplique du chef de l’école existentialiste, Jean-Paul Sartre illustre parfaitement l’attitude des jeunes intellectuels partis à sa suite sur le sentier de la guerre. Ils jouent et ne savent pas très bien ce qu’ils doivent croire ou non.

À vrai dire, personne ne sait bien ce qu’il faut croire : sauf une double évidence. La guerre d’Algérie doit prendre fin et l’Algérie un jour ou l’autre finira par accéder à l’indépendance. Mais les jeunes gens qui, cependant, signent des manifestes, portent des valises, reçoivent des amis à coucher, vivent une sorte de songe dont ils se réveillent parfois brutalement en prison.

La solidarité la plus complète doit s’exercer à l’égard de tous ceux qui sont victimes de la répression, mais cette solidarité ne dispense pas de donner son avis et mon avis le voici : Je ne crois pas au destin messianique du FLN pour hâter la libération de l’Algérie.

Sartre, selon sa coutume de professeur de philosophie s’est naturellement placé à côté de la question.

Le problème n’est pas de savoir quand ni comment l’Algérie obtiendra son indépendance. Elle l’aura avec un régime communiste en France comme avec un régime fasciste. le problème est dans la qualité d’indépendance qu’obtiendra l’Algérie.

Celle que lui propose le FLN est très en deça de la liberté pour laquelle combattaient des internationalistes, des syndicalistes musulmans que les tueurs du GPRA ont parfois assassinés.

Le régime que proposent pour l’Algérie nos défenseurs du FLN serait-il celui d’une petite et d’une grande bourgeoisie arrivant au pouvoir dans un pays décolonisé ?

En d’autres termes est-il impossible aux yeux de nos pédagogues de « sauter » l’étape de la petite bourgeoisie nationaliste ? Le propre d’une véritable révolution est de « sauter une étape », c’est la marque d’un esprit évolutionniste et petit bourgeois de croire qu’une société doive suivre des étapes nécessaires. Les révolutionnaires du passé ont montré par leur expérience qu’il n’est pas un obstacle qui ne puisse être sauté.

L’attitude de Sartre est-elle d’un conciliateur qui cherche à réunir deux positions opposées ; d’une part la position du révolutionnaire internationaliste, de l’autre la position du petit bourgeois conservateur qui cherche à maintenir ou à augmenter ses privilèges.

Est-ce l’occasion de reconnaitre que le nationalisme est le ressort le plus puissant de l’indépendance ? Ceci ne nous semble à aucun degré démontré par l’histoire ni par la sociologie. Bien au contraire, on constate que la qualité nationaliste d’une révolution influe sur le destin ultérieur des populations. Nasser en a donné un exemple parfait.

En conclusion, nous apportons notre appui aux victimes de la répression, mais nous croyons qu’il y a un autre chemin à indiquer au peuple algérien, celui de la révolution internationale…

Louis Chavance