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Algérie… point de regroupement

novembre 1960.

Pour la troisième fois cette année, les syndicats CFTC, CGT, FEN, FO, UNEF, acceptent d’agir en commun. Janvier, juin, octobre, un seul thème : l’Algérie, son ombre, le fascisme.



Après l’échec des pourparlers de Melun qui avaient fait renaitre quelques espoirs, septembre n’a pas vu s’annoncer l’astuce habituelle destinée à faire passer à la France, sans trop de dommages et en rassurant l’opinion publique, l’examen de l’ONU. La proximité du débat semble nous assurer qu’aucune initiative ne sera prise, d’ici là, par le gouvernement, le serait-elle que nous ne pourrions guère lui accorder que le même mérite qu’aux précédentes. D’autre part, il n’est jour qui n’apporte motions, ou appels en faveur, pour le moins, d’une paix négociée en Algérie. Procès du réseau Jeanson, Manifeste des 121, Appel à l’opinion pour une paix négociée en Algérie lancé par des syndicalistes et des universitaires, autant de témoignages quotidiens du désarroi d’un pays acculé à une situation absurde, désespérante.

Ce malaise général, qu’on pourrait presque appeler une mauvaise conscience générale, s’est traduit, dès septembre, dans les partis, fractions de partis et syndicats, par des prises de position plus ou moins platoniques. Même l’« inconditionnelle » UNR fut touchée, dans sa minorité musulmane, par les remous du procès Jeanson. Mais organisations de jeunes et syndicats envisagèrent les possibilités d’agir et ceci parce que les syndicats, plus que les partis, sont en contact avec la base et que celle-ci réagit plus aux aspects économiques et sociaux des problèmes moraux ou politiques et que, d’autre part, le gouvernement vient de démontrer qu’il n’hésite pas à s’attaquer au droit le plus fondamental : le droit au travail. Les préoccupations plus particulières aux jeunes (conditions de la lutte en Algérie, service militaire prévu à 18 ans) font que l’UNEF, qui en plus doit faire face aux problèmes spécifiquement étudiants (sursis, taxe d’intellectuallisme) joua un rôle important. Aussi est-ce l’UNEF qui prit, également pour des raisons d’ordre interne, l’initiative de lancer un appel, début octobre, pour une action précise. Il fallut deux semaines pour que toutes les centrales, hésitantes pour des motifs « politiques », accordent leur soutien. Successivement la FEN, la CFTC et FO et la CGT sur le plan régional acceptèrent de manifester en commun le 27 octobre. Ce fut ni sans heurts ni sans difficultés. La CGT et le PC, par l’intermédiaire de Thorez et de Waldeck-Rochet, prirent des airs de douairières outragées de n’avoir point été consultées au préalable. La CGT et le PC préférèrent les actions localisées où, avec le Mouvement de la Paix, ils peuvent jouer un rôle prépondérant, manifestations de quelques centaines de personnes vite terminées, la moitié des participants se retrouvant au commissariat. La confédération FO fut très réticente, seules les UD s’engagèrent, l’état-major estimant que le moment d’une action massive n’était pas venu, et se refusant à une action commune avec la CGT. La CFTC fut la moins hésitante, puisque l’union ne se faisait pas directement avec la CGT et, en outre, les sections les plus actives (metallurgie, chimie) ont, pour leur part, préconisé l’unité la plus large avec toutes les formations pour imposer une solution négociée en Algérie. Sur le plan local, l’union se réalisa, avec quelques résultats, à Grenoble, lors de la visite présidentielle, et se traduisit par le boycotttage des cérémonies publiques et un meeting commun.

De même à Toulouse, après l’agression commise par des militaires, qui ne se sont pas trompés, contre la Bourse du Travail et le siège de l’Association des étudiants, un rapprochement s’est effectué entre les forces de gauche.

Que sera la manifestation interdite par le gouvernement qui a permis le 3 octobre le rassemblement de l’Étoile qui s’est terminé en marche sur l’Élysée ? Le journal tombera avant que nous le sachions. Les organisations syndicales ont maintenu leur mot d’ordre. La police sera au rendez-vous. Que par-delà les querelles de clocher, qui confinent presque à la discussion sur le sexe des anges et rebuttent la masse organisée, l’unité se r[évi]se, nul doute que l’écho ne soit profond et que la masse ne sorte de son apathie, due en partie au sentiment de son impuissance parce qu’il lui semble que tous ces courants qui ont un même but, la sollicitent en des voies différentes. Il est des moments où l’essentiel est l’action.

Monique Berthault


PS. — Ils ont trahi ! Au moment de remettre les articles, nous apprenons la dérobade de la CGT et du PC et la décision de l’UNEF de remplacer la manifestation par un meeting à la Mutualité. Ne reculant devant aucune volte-face ni aucun désaveu de ses propres positions, la CGT ose donner un tel communiqué : « Déclare solennellement qu’elle ne s’est associée d’aucune façon et qu’elle ne s’associerea pas à un appel à se rendre le 27 octobre à une manifestation interdite. » Alors que le 20 octobre elle proclamait « appeler tous les travailleurs à participer à toutes les manifestations du 27 octobre déterminées par l’ensemble des organisations participantes ». Or la CGT n’a pas été exclue des conversations préliminaires et a signé tous les communiqués précédents ou y a laissé utiliser son sigle. Venons-en au PC. Il ne veut pas participer à une manifestation d’avant-garde, soit, mais quand une formation qui se veut révolutionnaire répugne à être à l’avant-garde elle devient pantouflarde, où est la révolution ? En outre, ou le PC, ainsi qu’il le prétend, est un parti de masses et la manifestation, peut-être toujours d’avant-garde, grossie des troupes du PC, atteindrait « l’ampleur maximum nécessaire à la lute », ou le Parti Communiste n’est pas le grand rassemblement des forces ouvrières et alors pourquoi se refuse-t-il si violemment à jouer les forces d’appoint ?

Quoi qu’il en soit, ce mauvais coup porté par le PC et son syndicat à l’union des forces de gauche risque de briser pour un long moment la possibilité d’une action décisive et de rejeter dans une somnolence découragée la masse. Où sont les diviseurs de la classe ouvrière ? Ce soir Messieurs, les fascistes peuvent sourire, le PC vient de leur faciliter grandement les choses. À eux d’agir. Les camarades du Comité Central pensent-ils que le moment favorable à l’union sera celui où tous les anti-fascistes seront réunis à Fresnes ou d’ailleurs ? Mais probablement auront-ils trouvé refuge à Moscou, attendant que les « conditions soient réalisées ». Il est des Espagnols qui attendent depuis 20 ans.