C’est au dix-neuvième siècle, quand on a commencé à opérer des hermaphrodites et des pseudo-hermaphrodites, que la notion d’identité sexuelle « mentale » s’est imposée, primant l’identité « biologique » : mêmes si leurs organes étaient plus près d’un des deux sexes biologiques, on a fini par comprendre qu’il valait mieux que la chirurgie attribue aux hermaphrodites le genre dans lequel ils se sentaient à l’aise. Encore aujourd’hui des associations d’hermaphrodites demandent qu’on laisse les enfants intersexués tels qu’ils sont à la naissance pour qu’à leur majorité ils puissent choisir eux mêmes le sexe de leur choix, ou rester tel qu’ils sont.
Même si la première opération de changement de sexe « le cas de Dora » remonte au Berlin d’avant le nazisme, le terme « transexuel » date des années 50. Il désigne des personnes désirant vivre ou vivant sous une identité contraire à celle de leur sexe biologique. En fait les trans ont bénéficié des avancées de la science réalisées sur les hermaphrodites : hormones, chirurgie réparatrice du sexe.
La France tirant profit de la notion « d’indisponibilité des personnes », visant les conscrits qui, sous Napoléon, se mutilaient pour ne pas aller à la guerre a longtemps interdit de telles opérations. Depuis quelques années, elle a été obligée d’accorder sa législation à la réglementation européenne en la matière, pour que les personnes opérées obtiennent leurs changements d’identité.
Des psychiatres de Sainte-Anne, Lacan en bandoulière, ont protesté que c’était là une atteinte intolérable « au nom du père » (à leur père de quoi ?). Les trans subissent aujourd’hui la vague d’ordre moral, noyant le pauvre Freud dans l’eau bénite. Une catho-psy, Colette Chilland, dans un livre récent, parle même d’atteinte « aux fondements de la civilisation » ! Héritage des interdits bibliques, quand d’autres civilisations ont su respecter leurs « transgenres » (des « rérés » de Tahiti aux « deux esprits » amérindiens). Les assassinats d’efféminés par les fondamentalistes musulmans relève de l’héritage colonial judéo-chrétien.
Libre disposition de son corps
La solution libertaire pour les transexuels, c’est la libre disposition de son corps, c’est de brûler tous les papiers d’identité, tous. En attendant les interdits nourrissent le racket des avocats, des experts médicaux (il n’y a pas si longtemps, à Paris, il fallait pour changer de sexe un certificat de bonnes mœurs établit par le commissariat !). Les trans sont victimes de la discrimination, de la violence urbaine et les autorités refusent de donner des papiers aux trans algériennes en exil à Paris, les contraignant à la prostitution. Au plus bas de l’échelle sociale, la condition carcérale des trans ajoute l’horreur à l’horreur : isolement, viol par les matons… La presse bourgeoise vient de découvrir ce que tous les intéressés savaient depuis toujours : des trans prostituées par des matons aux autres détenus. Ça vous semble vraiment invraisemblable ?
Les spécialistes américains, qui ont inventé les concept de transexualité, face au puritanisme, ont développé une martyrologie transexuelle spiritualiste (une « âme de femme » dans un corps d’homme ou une « âme d’homme » dans un corps de femme).
Le but était de faire sortir cette population du domaine de la perversion pénale. Du coup les juges, les psys débattent pour savoir s’ils ont affaire à de « vraies » ou « fausses » trans, avec des arguties sans fin qui ont des répercussions lourdes sur la vie des intéressés.
Les personnes vivant sous une identité opposée à celle de leur sexe de naissance sans vouloir aller jusqu’à l’opération sont mal vues, exclues du monde du travail pour cause de prénoms et de numéro de sécurité sociale inadéquats : comme si la société poussait à une opération qui reste difficile et dangereuse.
La transexualité, le transgénérisme, n’est pas un état plus « radical » qu’un autre, mais il révèle combien le féminin et le masculin sont pétris de social. Ce qui devrait intéresser les libertaires, outre la solidarité avec des personnes manifestement discriminées, c’est d’observer comment l’Etat s’arroge, par ses médecins, ses juges, son administration, ses flics, une mainmise accablante sur la vie de quelques individus.
Aujourd’hui quelques associations de trans militent pour leurs droits : le Syndrome de Benjamin, Caritig, le Pastt.
Leur discours est le plus souvent réformiste, même si on y rencontre quelques libertaires, mais dès que des gens se réunissent pour lutter ensemble et pour qu’on ne parle plus à leur place, la liberté a avancé.
Hélène (Paris)