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(Lesbian and gay pride)

Sida

les complices du virus
mai 2000.

Après la vague de libération sexuelle qui suit le mouvement de révolte étudiante de Mai 68, des organisations revendicatives féminines et féministes telles le MLAC (Mouvement pour la libération de l’avortement et de la contraception), le MLF (Mouvement de libération des femmes) se structurent. Des mouvements homosexuel-le-s comme le FHAR (Front homosexuel d’action révolutionnaire) et le GLH (Groupe de libération homosexuelle) prennent corps également. Ces organisations révolutionnaires regroupent toutes les tendances qui luttent contre le patriarcat, l’ordre moral et pour la libération des pratiques sexuelles. Rappelons-nous, pour la bonne bouche, le slogan du FHAR : « Prolétaires de tous les pays, caressez-vous ! »

Puis soudain, au milieu des années 80, apparaît cette mystérieuse maladie qui déferle sur les pays dits développés ou sous-développés (pour rester, comme ces messieurs, dans la sphère économique) : le sida. Pour les intégristes et toute la France réactionnaire, c’est le résultat de la libération sexuelle et de sa débauche. Ils se hâtent de brandir la notion de maladie divine, de pêcher qui tombent sur les sodomites et les femmes avorteuses.

Alors que la communauté gay réagit et se prend en charge avec des associations de lutte contre le sida, Act-Up première génération revendique haut et fort que se taire fait avancer l’indifférence : Silence = Mort. La communauté hétérosexuelle finit par emboîter le pas. On ne parle plus que de ça, c’est une peste qui s’abat. Chacun, peu ou prou, se sent concerné et impliqué, dans une solidarité forcée d’instinct de survie. La mort rapproche.

Trop rapidement pourtant, avec les bithérapies et aujourd’hui des trithérapies, les comportements et la vigilance se relâchent au niveau de la prévention de la maladie. Les femmes séropositives souffrent aujourd’hui d’un accueil culpabilisateur dans des hôpitaux publics. Les séropositif(ve)s sans papiers sont soignés dans l’illégalité quand ils ne sont pas tout bonnement renvoyés ou plus exactement expulsés dans leur pays d’origine où l’épidémie fait rage faute d’être soignée. On assiste à un désengagement du gouvernement en matière d’information sur la prévention et un ralentissement du militantisme.

Il nous faut donc politiser à nouveau la lutte et les débats et nous organiser pour lutter contre les laboratoires mercantiles, complices de l’indifférence de l’État.

Sida d’hier

En 1985, les premiers tests de dépistage de l’infection HIV apparaissent. On culpabilise les malades. Le sida n’est plus une maladie anodine : c’est la punition divine. L’information est quasi absente des médias, ou trop mal relayée. Les rares reportages et débats télévisés cachent les visages en ombre chinoise et déforment les voix. On a honte de ce que l’on a. On craint l’opprobre et la quarantaine. De malades, on devient paria. Et la presse gay ne relève guère le niveau général ! « Le sida ne passera pas par moi », première campagne, officielle mais timide, du gouvernement arrive beaucoup trop tard. Et en plus, par pression de la hiérarchie catholique, on ne montre pas de préservatifs. Pour l’État, une seule question : qui est responsable ? Qui a contaminé l’autre ? On culpabilise les homos. Leur différence mérite une punition : ils seront séropositifs. « Tous ne succombent pas, mais tous en sont frappés ! »

En décembre 1988, lors de la première journée mondiale contre le sida, des associations comme Aides ou Arcat Sida sont mal à l’aise devant les associations gays prêtes à se mobiliser. Comme une homophobie refoulée qui déciderait que la visibilité est inconcevable. Seul Act-Up Paris appelle « un chat un chat ».

Act-Up Paris est née en 1989 en imitation d’un groupe new-yorkais. Act Up signifie en anglais : agissons. C’est parce que quelques amis séropositifs ou non perdent patience. L’épidémie galope et les autorités trottinent. « Ils s’occupaient du sida comme s’il s’agissait du dernier vaccin contre la grippe ». Une poignée d’activistes passe à l’attaque. Ils zapent les administrations et les labos pharmaceutiques. Ils réveillent Boutin à l’aube en gueulant sous ses fenêtres : « Boutin réveille-toi, les pédés sont dans la rue ». C’est alors qu’ils reprennent le slogan américain Silence = Mort. À force de lutte et de « coups » médiatiques, Act-Up impose sa compétence médicale aux chercheurs et aux labos.

C’est la première fois dans l’histoire de la médecine que les personnes concernées se prennent en main et s’imposent en interlocuteurs face aux médecins. Les militants d’Act-Up siègent dorénavant dans les commissions scientifiques et discutent pied à pied, voire d’égal à égal, des effets secondaires des traitements. Les malades refusent de se laisser aller, d’être chosifiés, cobayisés, terrorisés par les spécialistes.

Act-Up est fasciné par les médias, avec tous les risques de connivence que cela implique. Aujourd’hui, l’image d’Act-Up relayée par les médias ne correspond pas toujours à la réalité. Après dix ans d’existence, Act-Up Paris pense n’avoir vraiment réussi son pari que sur un seul de ses objectifs : mobiliser les séropositifs et les malades du sida contre leur cible principale, la science. Par contre, l’association avoue avoir connu beaucoup plus de difficultés pour avancer sur les autres questions liées au sida : la toxicomanie, l’accès aux traitements dans les pays en voie de développement et le sida chez les sans-papiers, les problèmes liés au sida et au travail (difficulté à obtenir l’allocation adulte handicapé, difficulté à retrouver son poste quand on a été déclaré malade en longue durée).

Les militants avouent volontiers que malgré l’énorme énergie dépensée, ils n’ont jamais réussi à motiver les acteurs concernés. Act-Up Paris, « longue traînée de souffrance et de fierté », a attiré des milliers de personnes. Aujourd’hui, elle doit faire face à un désengagement militant, pendant que dans les back-rooms, les rapports sans préservatifs redeviennent courants. Et ne nous faisons pas trop d’illusions : Act-Up reste politiquement plus près de la maison Saint-Laurent que des anarchistes.

Sida d’aujourd’hui

Aujourd’hui, le problème est de savoir où se situe l’engagement face à la maladie. On soigne d’abord chez nous (pays capitalistes blancs) en laissant pour compte les pays sous développés et sous capitalisés, dominés par des dictateurs fous. Ces pays où l’épidémie stagne à un niveau aussi important (20 % de la population) que le manque de moyens pour la juguler. Sans parler de ces africains qui servent de cobayes pour les nouveaux médicaments qui guériront les riches blancs.

Heureusement, aujourd’hui, on se bat encore ! La commission femmes d’Act-Up Paris est très active. Les femmes séropositives souffrent d’un manque d’intérêt de la part des pouvoirs publics, de la recherche médicale et des milieux féministes. Pourtant le nombre des femmes contaminées par le virus du sida continue d’augmenter chaque année, en France comme partout ailleurs. S’ajoutent à ces discriminations les difficultés d’accès au soins, les effets secondaires des traitements, le manque de ressources et d’autonomie dont souffre une part importante des femmes. Et l’on développe un nouveau sentiment de honte.

Pourtant la prévention n’est pas une défense contre la sexualité. Ce n’est qu’une défense contre le sida ! Les campagnes de prévention ne s’intéressent ni aux pratiques sexuelles diverses des femmes, ni à leurs désirs. Elles caricaturent les comportements, entraînant dans les milieux les plus défavorisés son cortège d’adolescentes enceintes.

Le sida révèle les failles de la société, signale les résistances aux avancées sociales : la régression de la condition des femmes. Les femmes séropositives ou non, doivent se battre pour améliorer leur condition. Il n’y aura pas de lutte contre le sida sans les femmes. Elles doivent se réapproprier la parole, imposer d’autres images, loin de celles de « victimes ou de dominées ».

Autre sujet tabou : les séropositifs et le travail. Les salariés licenciés ou victimes de brimades à cause de leur maladie sont de plus en plus nombreux. Or, les deux tiers des 140 000 personnes contaminées en France travaillent ou sont en recherche d’emploi. Si l’arrivée des trithérapies a redonné une certaine confiance aux employeurs, le monde du travail dans son ensemble ne suit pas. Des discriminations flagrantes sont notifiées, soit à l’embauche, soit pour des personnes déjà en poste. Un employeur déclare que « le cancer, c’est héréditaire, le sida, c’est quand des gens ont eu un comportement léger ». Quand on est salarié, il faut donc apprendre à vivre et gérer sa séropositivité en silence. Et cela en toute illégalité, puisqu’en principe, il y a des textes ! Mais l’État, comme toujours, considère qu’il suffit de légiférer pour régler les problèmes.

Et ce ne sont pas les quelques initiatives républicaines menées autour d’un projet de loi contre le sexisme et l’homophobie, relayées par des associations avec qui l’on se bat tous les jours, qui vont régler cet archaïsme comportemental des employeurs et des collègues « sains ».

Et le sida demain ?

Nous exigeons le libre accès et le plein droit (républicain ou non…) aux soins, pour tous les séropos, avec ou sans papiers, femmes, hommes, homos, trans et autres ! Nous refusons le diktat des laboratoires, motivés par des préoccupations mercantiles et complices des médecins qui, eux, savent !

Depuis plus de dix ans de séropositivité, on ne sait toujours pas ce que l’on prend tous les matins avec son jus d’orange. Mais qu’il y a-t-il donc dans l’AZT, le DDI et les trithérapies qui font tomber les cheveux, développer une hépatite C, multiplier les allergies cutanées ?

Pourquoi renvoie-t-on nos ami-e-s sans papiers séropos dans leur pays où l’on a même pas le jus d’orange pour faire passer les pilules, mais la mort en direct, face à soi ? Et sans autre forme de procès que celui de devoir rentrer « chez eux », comme si la terre n’appartenait pas à tout le monde ! Le progrès et la solidarité ne valent que s’ils concernent tout le monde et son partagés. Répondons à Michel Rocard qui « ne peut pas accueillir toute la misère du monde » que nous avons au moins les moyens de la soigner. Et en plus, nous, nous le voulons.

Nous ne changerons ce monde qu’avec une seule arme : la révolution sociale et anarchiste. Plus de culpabilisation, de honte, de « bons côtés de la barrière ». Ne nous laissons plus opprimer par la morale du vieux monde.

Patrick Schindler, Christophe Tzotzis. — Claaaaaash, F.A. (Paris)