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Carrare 2008

Le Rendez-vous des internationaux

Le jeudi 4 septembre 2008.

Impressions du 8e congrès de l’Internationale des Fédérations anarchistes — Carrare (Italie) — juillet 2008



Peu d’entre nous connaissent cette ville, hormis pour son marbre réputé depuis l’antiquité pour sa blancheur et sa pureté. Et pourtant cette ville est un haut lieu de mémoire du mouvement anarchiste italien, nombreux parmi les carriers furent des sympathisants ou des militants de notre mouvement. C’est aussi une des rares villes qui, à l’initiative des partisans anarchistes, se libéra du fascisme, ce qui explique la place et la légitimité des anarchistes encore aujourd’hui dans cette cité. C’est aussi et c’était la raison de notre présence à Carrare en juillet 2008, la ville où fut créée, il y a quarante ans, l’Internationale des Fédérations anarchistes. Pas question ici de revenir sur la nature des débats sociaux et idéologiques qui nous occupèrent durant les trois jours du 8e Congrès de l’IFA, cet article ne vise qu’à tenter de redonner l’ambiance de ce qui fut pour ceux et celles qui purent y participer un grand moment de fraternité libertaire.

En d’autres termes, il ne s’agit que d’un récit de voyage en pays d’anarchie. La délégation française était composée de dix-huit camarades, dont cinq militantes, bien équilibrée en âge de 22 à 56 ans. Six d’entre eux venaient de région parisienne, un de Tours, un de Marseille, deux de Gap, trois de Chambéry, un de Strasbourg, deux du Vercors, un de Charente. Certes, l’ouest de l’Hexagone était sous-représenté, sans doute un effet de l’éloignement. Notre arrivée à Carrare fut l’occasion d’une grande émotion. Imaginez la place centrale d’une ville moyenne, au premier étage du théâtre communal un drapeau noir et rouge de trois mètres sur quatre avec en dessous un calicot indiquant « Union des groupes anarchistes de Carrare »… Ici, nous sommes chez nous. Ce lieu, l’espace Germinal, fut réquisitionné à la Libération par les partisans anarchistes qui en firent le siège de leur mouvement, ce qu’il est resté depuis. C’est là que se tint le congrès de la fondation de l’IFA en 1968, c’est là qu’aurait dû se tenir notre congrès mais, malchance, la bâtisse est vieille et mal entretenue par la ville. Nous fûmes donc obligés de nous replier sur le théâtre Garibaldi. Avant les travaux proprement dits, la réunion fut ouverte en plein coeur de la ville et en plein air, tout près du Centre culturel anarchiste (une bibliothèque et un lieu de réunion).

Chaque délégation présenta en public son organisation. Suite à ces prises de parole, nous partîmes tous en manifestation dans Carrare, avec drapeaux et banderoles italienne, française, bulgare, biélorusse… Là encore un grand moment d’émotion car, au delà des chants révolutionnaires repris dans de multiples langues, nous fîmes un quasi-pèlerinage anarchiste. Régulièrement, le cortège faisait halte devant une plaque commémorative où un camarade italien accrochait quelques œillets rouges avec une simple signature : « Les Anarchistes ». Ainsi, au fil du parcours, où nous fûmes à maintes reprises salués amicalement, voire applaudis par les passants, nous saluâmes la mémoire de Francisco Ferrer, dont le buste nous rendit un fraternel salut, des martyrs anarchistes massacrés par l’armée en 1894 et celle de l’une des figures majeures du mouvement anarchiste de Carrare, le camarade Alberto Meschi… dont le monument commémoratif démontre la place de notre mouvement dans la cité. De retour par la place Sacco-et-Vanzetti, auxquels nous laissâmes quelques fleurs et quelques pensées, nous partîmes nous restaurer.

L’après-midi, le travail politique commença, mais là n’est pas mon propos. Les soirées, en revanche, doivent y figurer en bonne place, car elles furent de grands moments de fraternité libertaire où, au-delà des obstacles linguistiques, l’amitié put germer. En effet, tour à tour chaque délégation fit entendre quelques chansons de son répertoire anarchiste « local » et bien d’autres furent reprises en coeur par l’assemblée car appartenant à la culture internationale du mouvement. Comment faire partager ces moments qui furent pour nous une réalisation concrète — certes limitée — de notre idéal de solidarité et de respect. Beaucoup d’émotion qui, à coup sûr, restera gravée au coeur de ceux et de celles qui en furent et qui leur a redonné le goût de l’engagement et du combat anarchistes. La soirée se termina sur une grande place de la ville, sous l’oeil bienveillant de Francesco l’éducateur, où les chants révolutionnaires continuèrent, entrecoupés par les accordéons et les chants populaires des Pouilles, dont nous régalèrent trois compagnes italiennes.

Petite fausse note écologique, la montagne de marbre autour de Carrare est ravagée par une exploitation massive et industrielle de sa richesse. Les saignées de la dynamite et du bulldozer y sont gigantesques, et la ville est la plus polluée d’Italie. Trois mille camions par jour pour convoyer la pierre arrachée à la montagne et la poussière de marbre font de ce haut lieu de notre mémoire, une fois encore, la démonstration que notre lutte pour une décroissance raisonnée et une société libertaire sont aujourd’hui une urgence absolue.

Hugues
(Membre de la délégation de la Fédération anarchiste)