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« Printemps, été, automne, hiver… et printemps » de Kim Ki-duk

Le jeudi 27 mai 2004.

En compétition à Locarno, l’été dernier, le film de Kim Ki-duk arrive seulement maintenant sur les écrans. Le Festival de Berlin montrait, en février 2004, son film suivant : Samaritan Girl. Il change de style et de thématique à presque chaque film. Le cinéma de Kim Ki-duk est violent. Cette violence très orientée s’exerce entre hommes, voir Bad Guy et The Coast Gard, mais elle est presque toujours montrée comme une conséquence de désirs provoqués par l’attraction sexuelle, par une force presque animale qui pousserait les hommes vers les femmes, les corps dans les étreintes, dans les jeux de séduction de plus en plus poussés.

Mais dans Printemps, été, automne et hiver… et printemps, tout est différent : un tout petit temple richement décoré flotte sur l’eau, le lac paraît comme un écrin de ce lieu sacré et l’entoure d’une sorte d’aura. Dans ce temple flottant sur Jusan Pond (le nom du lac créé, il y a 200 ans) vivent un maître et un jeune enfant, un garçon qu’il initie à la cueillette des herbes, à la prière et à la méfiance des serpents. Il lui enseigne à respecter les codes de vie qui régissent cet espace : toujours passer par une porte, tel le visiteur du temple qui doit d’abord franchir les battants d’une porte toute symbolique. Ainsi des règles de sagesse entrent dans les habitudes de vie. Nous sommes donc dans un univers où vivre en bonne intelligence avec la nature, les démons et les dieux, s’inscrit dans la tradition orientale. Mais Kim Ki-duk emprunte ces signes et représentations religieuses à de multiples courants religieux ; son univers ne se limite pas aux références orientales. Le petit garçon semble se porter à merveille, il est heureux et joue. Comme tous les enfants il joue à… attacher une pierre à un poisson, à une grenouille et à un serpent ! (Ces animaux font partie des animaux sacrés dans les religions orientales). Le maître, qui l’observe, le sanctionne en lui attachant à lui aussi une lourde pierre dans le dos. Il lui explique qu’il doit retourner délivrer ces animaux martyrisés et que, si par malheur, ils sont morts, eh bien, il portera leur mort toute sa vie sur la conscience. Il retrouvera les animaux, mais ne pourra délivrer que la grenouille ; le poisson et le serpent étant morts. Les saisons passent.

Une mère croyante confie sa fille malade au maître pour la guérir. Cette jeune fille va devenir la « porte » qui ouvrira le novice devenu jeune homme à une autre vie qui nous apparaîtra un moment réussie pour tous les deux. L’île deviendrait un temps le paradis, un jardin d’Eden ?

Mais ce n’est pas prévu dans les règlements du temple. Le jeune fille ainsi guérie doit partir. Le novice en perdra le sommeil et partira la rejoindre, une statue de bouddha dans son sac à dos. Plus tard, il reviendra, les flics à ses trousses.

Alors que Kim Ki-duk semble nous entraîner dans un univers d’inspiration bouddhique, porté sur l’introspection, la contemplation et les rites, on va retrouver, au retour de son disciple qui a maintenant trente ans, des scènes d’une grande violence : le maître frappe sauvagement son ancien moinillon qui a finalement tué la femme qu’il aimait. à cet homme qui a échoué dans le monde des hommes, il inflige une punition d’une grande violence symbolique. Pour retrouver la paix de son âme, il doit graver au couteau les versets du « Pranjaparpamitasutra » dans le plancher du temple et sera seulement livré à la police, une fois son travail colossal achevé.

Kim Ki-duk qui joue lui-même le disciple devenu adulte traîne une meule sur la montagne, y installe une statue féminine à la grâce divine hindoue. On trouve cette histoire de péché et de meule dans les évangiles où il est dit que pour certains pécheurs il vaudrait mieux leur accrocher une meule aux pieds et les précipiter dans la mer. Le réalisateur coréen construit ainsi une morale rattachée à de multiples courants. La punition infligée au gamin ignore le symbolisme et nous rappelle « œil pour œil, dent pour dent ».

Tout ce foisonnement de symboles, de morale, de règlements, s’inscrit dans des paysages qui renvoient au cours des saisons une beauté presque surréelle et rappellent les estampes orientales et la peinture de ce peintre coréen auquel Im Kwon-tek a consacré un film débordant d’énergie : Ivre de femmes et de peinture.

Les arbres centenaires du lac continuent leur croissance dans l’eau, une tête de bouddha est sculptée dans la glace d’un torrent, une femme au visage caché par un voile confie son bébé. Elle est engloutie par l’eau du trou dans la glace du lac gelé. Le cycle des saisons se confond avec le cycle de la vie : tout n’est qu’un éternel recommencement. L’adulte repenti deviendra à son tour le maître de cet enfant, orphelin du monde, recueilli exactement comme il avait été accepté par le vieux maître, réincarné maintenant en serpent… ?

Quant à la place de la femme, on reste perplexe. Les coréens sont-ils donc tous nés orphelins ?

Heike Hurst