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SOS 2040-45 : les stratégies métapolitiques du Vlaams Blok

Le jeudi 5 juin 1997.

En exposant au public les stratégies que le parti d’extrême droite belge « Vlaams Blok » utilise pour obtenir plus de pouvoir, nous pouvons faire tomber les masques. Les dangers contenus dans les idées de ce parti doivent être rendus évidents.

La Belgique est divisée en trois communautés linguistiques : une partie germanophone, une partie francophone et une partie néerlandophone. L’avancée de l’extrême droite a débuté dans cette dernière partie. C’est le Vlaams Blok qui monopolise cette avance ici. Dans les années quatre-vingt, ce parti a obtenu un succès rapide surprenant ainsi beaucoup de gens et a progressé jusqu’au début des années quatre-vingt-dix. Depuis cette période, le Blok obtient invariablement plus de 10 % des votes. À Anvers, l’électorat balance même autour des 30 %. Ce phénomène a beaucoup retenu l’attention, y compris à l’extérieur des frontières belges. Des politiciens aussi bien que des scientifiques, des journalistes, des philosophes,… ont écrit sur ce phénomène. Mais ces analyses n’étaient pas toujours satisfaisantes. C’est une des raisons pour lesquelles il est difficile de comprendre ce qui se passe vraiment. Qu’est-ce qui fait durer le succès de l’extrême droite à Anvers, en Flandre et en Europe ?

Après la chute du mur

Pour analyser le phénomène, il serait incorrect de considérer les causes de cette montée comme une chose tout à fait nouvelle. Il est vrai que le contexte a changé, mais il y a beaucoup de parallèles avec les succès passés de l’extrême droite. On peut, par exemple, expliquer la popularité des gens comme Hitler et Mussolini par le fait qu’ils ont canalisé à leur avantage un grand mécontentement du peuple envers les conditions socio-économiques. Le succès que les fascistes connaissent en Europe dans les grandes villes et dans les vieux quartiers populaires où il y a une grande concentration de pauvreté, peu d’opportunités, du chômage, des taudis, etc., n’est pas une coïncidence. Là où les communistes et les socialistes avaient auparavant un électorat qui leur était favorable s’épanouit maintenant l’extrême droite.

Principalement par le fait que les socialistes et les sociaux-démocrates s’engagent plutôt pour les intérêts d’une classe moyenne inférieure et pour ses propres membres (voir le nombre des affaires de corruption), que pour satisfaire les désirs des classes sociales plus défavorisées. Les sociaux-démocrates se sont livrés à une forme d’opportunisme politique, au détriment des pauvres en Europe et dans le tiers monde. Ceux qui le veulent autrement ont trop peu de succès pour être pris au sérieux. C’est aussi une des raisons pour lesquelles le communisme n’a plus d’attrait. Ce n’est pas seulement en Europe de l’Est que l’internationalisme a été remplacé par le nationalisme.

Certains communistes peuvent encore prétendre que le socialisme sous Staline ou après Staline n’était pas du communisme, n’était même plus du socialisme. Aux yeux de beaucoup de gens le communisme a perdu la bataille pour toujours. Ces mêmes personnes accordent confiance à une approche dure des problèmes : le fascisme.

Mais l’extrême droite peut aussi compter sur la sympathie des classes moyennes et de la bourgeoisie. Pour comprendre la montée des tendances ethno-nationalistes en Europe, on doit réaliser que le fascisme, dans son origine et ses expressions, est lié avec un capitalisme omnipotent. Le fasciste présente au capitaliste un miroir cassé. Cette simulation, cette imitation trompeuse et inconsciente est d’un aspect douloureusement réel.

Après la libéralisation des économies de l’Europe de l’Est, le Vlaams Blok s’était empressé d’encourager les entrepreneurs de l’Europe de l’Ouest à envahir les nouveaux marchés. Début 1993, le président de l’époque, Karel Dillen, déclare : « Vu les possibilités énormes à la suite des difficultés des pays de la Communauté des États indépendants (CEI), les pays européens doivent veiller à ce que ces marchés ne soient pas pris en main par des pays non-européens. » La Flandre aurait dû devenir politiquement indépendante, mais aurait dû en même temps s’insérer dans une Europe qui aurait augmenté sa force de concurrence. Les Européens ne doivent rien se faire dicter par des superpuissances économiques comme les États-Unis ou le Japon. Après les changements, l’Union européenne peut ouvrir peu à peu ses portes aux pays de l’Europe de l’Est (probablement pour diminuer davantage le danger communiste). À un exception près : la Turquie. Ce n’est pas, selon Dillen, un pays européen, et ne le sera jamais du point de vue historique, culturel ou géographique. L’Europe doit être un bastion blanc, qui ferme ses portes à toutes les personnes qui viennent de la culture islamique.

Pourquoi dans le passé y a-t-il eu tant de haine envers les musulmans (maintenant un peu plus dissimulée) ? La position géographique du monde musulman l’explique. Cette influence culturelle est avoisinante au sud et à l’est. Vu sa mauvaise position économique, elle représente la menace la plus directe pour la prospérité de l’économie européenne. Les moins favorisés d’Europe ne doivent pas tendre la main à des partenaires non européens afin d’éviter d’entamer la lutte des classes. C’est pourquoi les classes économiques inférieures doivent être montées l’une contre l’autre.

La Nouvelle Droite

L’augmentation des tendances ethno-nationalistes de droite pouvait et peut seulement avoir lieu après la dégénération de la gauche. Des gens qui sont confrontés aux problèmes sociaux, éthico-politiques, économiques comme la criminalité et le chômage (problème structurel plutôt que conjoncturel) choisissent une réponse « facile » : une approche fortement autoritaire et non internationaliste. Ils se trouvent dans le même état d’être et dépourvus de sens critique qu’une grande partie de la gauche. Beaucoup de partis traditionnels sont hantés par une apologie du marché et le camp progressif est trop éparpillé pour pouvoir résister. C’est pourquoi une partie de l’électorat flamand et européen reste aveugle sur la volonté de puissance des membres des partis d’extrême droite.

Le Blok obtient ses succès électoraux principalement en mettant l’accent sur les thèmes populaires comme le problème de l’immigration, la politique envers les réfugiés et les formes de criminalité (comme la corruption politique). Ce sont des thèmes auxquels presque tous les autres partis ne répondent pas de manière adéquate, et cela à cause de leur réformisme, leur pragmatisme et leurs analyses inadéquates. Il y a un abîme entre ce que dit le Blok à l’extérieur (la propagande) et le programme, qui est de temps en temps plus extrême ou conservateur. C’est une chose peu connue.

L’élection de Frank Vanhecke comme nouveau président l’année passée se situe dans une stratégie de Nouvelle Droite du Blok (dont Vanhecke est supposé être un connaisseur éminent). La Nouvelle Droite se caractérise par sa stratégie métapolitique. Elle ne veut pas seulement distribuer son programme par des élections et structures de parti, mais aussi par des canaux métapolitiques comme les bibliothèques, les écoles, les associations, la télévision et la radio, les revues, les théâtres, les églises,…

Pour distribuer les idées par ces canaux, elles doivent parfois être modifiées. La stratégie était copiée sur le Front national français. Vanhecke et Filip Dewinter, deux des plus importants leaders du Vlaams Blok, observent avec plaisir les succès de Le Pen et des siens en France. Ça les renforce dans leur conviction qu’ils sont sur la juste voie. Il y a quelque temps Vanhecke parlait au congrès de Strasbourg, où Le Pen était réélu comme président du Front national. « Vivent la Flandre et le Vlaams Blok. Vivent le Front national et Jean-Marie Le Pen », criait le président du Blok. Il se déclarait d’accord avec la suggestion de Le Pen qu’au niveau européen il y a besoin de plus de collaboration entre les partis de la droite nationaliste.

Vanhecke et Dewinter ont débuté comme des bagarreurs et des fascistes francs. Aujourd’hui, ils se sont camouflés, dans leur recherche de plus de respectabilité sociale. Le langage de Dewinter devient de plus en plus « poli », ce que d’ailleurs lui reprochent quelques subalternes du parti. Il y eut un temps où c’était vraiment clair que le Vlaams Blok était aux mains des flamingants (nationalistes flamands) extrémistes, des personnes qui haïssent les étrangers. Mais les aspects franchement patriotiques et racistes sont de plus en plus amollis.

« Tous les étrangers non européens ne doivent pas partir. Ceux qui veulent vraiment s’assimiler peuvent rester » disait Dewinter à la fin de l’année passée. « Ces immigrés doivent passer un examen de citoyenneté, ils doivent parler notre langue, adopter nos mœurs et abjurer leur religion. » Cet examen consisterait à tester les connaissances des allochtones (immigrés) non européens en matière de langue et de culture. Où doit être fixée la barre ? Et comment peut-on espérer que les gens, par exemple d’origine arabe, comprennent notre langue et notre culture quand notre système d’éducation n’est pas adapté ? C’est ce que Dewinter oublie naturellement de nous raconter.

La lutte contre la criminalité

Au fond, il n’y a rien de changé : les allochtones sont encore visés comme les plus coupables dans les problèmes de criminalité. Si tout va mal, c’est de la faute de la culture islamique et de la politique inadéquate des instances politiques (ces dernières étant en fait véritablement responsables, ne serait-ce que partiellement). Lors d’un débat à Anvers, organisé par le Comité SOS 2060 (cent ans de société permissive ?), une organisation satellite de l’extrême droite, il y a quelques mois, Dewinter appelait a une meilleure lutte contre la criminalité. « Cette ville a le plus d’agents par citoyen (un pour 277, ndlr) et pourtant on ne réussit pas à faire diminuer la criminalité. Anvers a besoin de plus de policiers. D’abord deux cent, plus tard quatre cents » (source : De Morgen). Les gardiens de quartiers, les assistants sociaux et les secouristes doivent être remplacés par de véritables policiers. Il n’est pas clairement dit d’où ces policiers doivent venir. Malgré le chômage élevé en Flandre et des campagnes promotionnelles de grande envergure, la police d’Anvers n’a pas su attirer assez de candidats pour les postes à pouvoir. Le Blok peut avoir beaucoup de succès à Anvers, il manque apparemment de candidats pour réaliser son programme. Selon le Blok, la criminalité croissante est surtout due à la baisse du contrôle social informel et la dissipation des normes, « le processus d’urbanisation, la mentalité tout-peut-tout et la permissivité, la décomposition systématique de la famille et les mouvements de jeunesse en faveur de l’individu, la présence de grands groupes d’étrangers avec une autre idée de normes et la détérioration des quartiers. » Toute forme de criminalité doit être punie durement : les vols, les cambriolages, les agressions armées, les délits de drogue, squatter des maisons…

Les citoyens doivent s’organiser en comités de vigiles, qui patrouillent (sans armes) dans les quartiers tout en restant en contact permanent avec la police. Les services de sécurité privés doivent être soutenus par des subsides de l’état et un climat fiscal favorable. On doit bâtir plus de prisons, qui doivent être privatisées et les punitions doivent être prolongées,…

Tout cela joue en faveur de la bourgeoisie. Une force policière accrue sauvegarde leurs possessions vis-à-vis des classes économiques plus faibles et permet de protéger efficacement le fort Europe contre les demandeurs d’asile. Les gens de mai 68 peuvent être tenus dans un corset par un contrôle social plus ou moins formel. Les délinquants peuvent être marginalisés et stigmatisés dans les prisons. Dans ces lieux ils peuvent nouer des contacts informels avec des autres délinquants. Après leurs mise en liberté par les membres de la bourgeoisie, ils peuvent être insérés dans des circuits illégaux de pornographie d’enfants, de drogue et de trafic d’armes.

Les prisonniers sont des travailleurs bon marché. Les plans du gouvernement belge pour construire une prison à côté de l’usine d’acier en faillite de Clabecq pourraient par exemple être efficaces pour augmenter la force de concurrence des entreprises européennes (dans ce cas les coûts salariaux disparaissent déjà). Aux États-Unis, où les criminels sont punis plus sévèrement, on trouve beaucoup de chômeurs dans les prisons privatisées.

Est-ce que l’appel du Blok pour plus de prisons et pour leur privatisation ne serait qu’une tentative d’obtenir un plus grand contrôle social ou une tentative de rendre plus visibles les indésirables ? Est-ce, aux yeux de certaines personnes du Blok, un moyen d’obtenir plus de bénéfices pour les entreprises ? Qui le dira ?

L’affaire Dutroux et des cas similaires, les affaires de corruption politique, la continuelle déchéance sociale… tous cela importe peu pour certains. Ces événements ne finiront-ils pas par leur être favorables ? Soyez déjà prévenus, l’avancée de l’extrême droite n’est pas encore terminée.

Une nouvelle image de marque

Le mouvement pour la paix est un autre phénomène qui ne plaît pas au Blok. À leurs yeux ce sont des gens qui ouvrent la porte au communisme ou à des dictateurs tel que Saddam Hussein. Le Blok veut reconquérir les canaux métapolitiques sur les gens de mai 68. Ils pensent par exemple aux maisons de la jeunesse, des lieux qui doivent retomber aux mains du Blok au lieu d’être des endroits propageant la mentalité du « tout est possible ». En fait, le Blok veut transformer toutes les activités culturelles dans son propre intérêt. C’est pourquoi ils veulent surtout s’implanter dans les villes. Après Anvers, Bruxelles doit également tomber lentement, mais sûrement dans leurs mains. Peu après la campagne de la fin de l’année passée « Anvers, ville occupée. Vlaams Blok dans la résistance », le caractère purement flamand du parti fut mis au placard pour aller faire la pluie et le beau temps à Bruxelles par le biais d’une campagne bilingue contre la présence d’étrangers européens et non-européens. Vanhecke disait : « Les Bruxellois autochtones francophones sont tout autant les bienvenus que les néerlandophones et Bruxelles peut être bilingue ».

Après les bagarres lors du pèlerinage de l’Yser (une manifestation annuelle à laquelle participent aussi bien les nationalistes flamands de gauche que de droite), une partie du mouvement nationaliste flamand s’est ouvertement distanciée du Blok. Il semble que Vanhecke ne soit pas toujours capable de contrôler ses troupes d’assaut. Grâce à sa campagne bruxelloise, le Blok peut rétablir son image d’un parti assez ouvert.

Le flirt avec le Front national de Le Pen et la demande d’une coopération générale entre partis de droite nationaliste en Europe doit être vu dans cette optique. Serait-il d’ailleurs possible que les nationalismes locaux doivent à terme s’éclipser pour qu’un nationalisme européen naisse, un grand empire européen avec Le Pen comme leader et Vanhecke comme second ?

La doctrine économique du Blok (solidarisme national) rejette toute forme de lutte de classes, l’État flamand doit trouver dans sa solidarité de peuple sa base de société. Pour garder les entrepreneurs en Flandre, la Flandre doit être plus aimable vis à vis des entrepreneurs. La société providence actuelle doit être remplacée par une société avec un grand esprit de compétition. Les « profiteurs » de la société providence perdent leur droit aux allocations. Pour que les autochtones puissent être intégrés de nouveau dans le système, les allochtones doivent être expulsés. Le Blok ne le dit pas avec tant de mots, mais toute forme de créativité en dehors du circuit du travail salarié et du système (les arts, l’autodidactisme, l’activisme politique…) doit être repoussée. Tout doit être sacrifié au bénéfice du marché et du principe « métro-boulot-dodo ».

Des campagnes récentes, qui mettent l’accent sur l’importance du « travail pour le peuple de chez nous », se réfèrent en fait à une morale du travail soutenant le système. Le « prolétariat » flamand n’est pas seulement monté contre le prolétariat allochtone, mais aussi contre le « profitariat » flamand. L’année dernière Alexandra Colen, une femme catholique de droite, qui s’est faite connaître auprès du public flamand d’une façon lesbophobe en accusant les campagnes publicitaires où deux femmes nues sont montrées enlacées, a proposé d’abolir le droit de vote pour les chômeurs bénéficiaires d’allocations. Cela allait d’ailleurs à l’encontre des idées de Dewinter entre autres, parce que la campagne contre le « profitariat » ne peut pas être menée trop ouvertement.

Le pouvoir ou l’influence des syndicats doit être cassé pour instaurer de nouvelles tactiques de caractère disciplinaire. Les grèves doivent être interdites et les syndicats doivent être transformés en associations d’entreprises et de professions corporatistes, s’occupant seulement de la compétence professionnelle ou de la qualité de travail de leurs membres. Des campagnes antiracistes des syndicats sont une épine dans le pied du Vlaams Blok et selon eux, il voudrait mieux confier la formation politique à d’autres organisations (les partis de droite ?).

G.R. (Anvers)