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Paul Lapeyre

Le Gascon valeureux

Le jeudi 26 décembre 1991.

Paul Lapeyre, né le 28 mai 1910 à Monguilhem (gers), est décédé le 2 mai 1991 à Burela (province de Galice) en Espagne. Frère de deux autres militants bien connus, tant à Bordeaux qu’au plant national, à la fois comme anarchistes et libres penseurs, Aristide et Laurent qui, ensemble, animèrent les groupes libertaires et de la Libre Pensée.

Nous ne pourrons développer l’étendue de l’action militante des frères Lapeyre, mais seulement évoquer, de manière restreinte et imparfaite, hélas, ce que fut leur vie, ô combien exemplaire.

Après un court passage dans l’enseignement, Paul rejoignit ses frères à Bordeaux, où, immédiatement, il participe au développement de leurs conceptions d’émancipation humaine.

N’oublions pas l’œuvre néo-malthusienne des frères Lapeyre et d’André Prévôtel. L’ « affaire » de la vasectomie eut une considérable répercussion, tant à Bordeaux, qu’en France et dans nombre de pays. L’emprisonnement toucha même certains d’entre eux, comme ce fut le cas, quelques années plus tard, pour la reconnaissance de l’avortement ; cela aura, par ailleurs, été fatal à Aristide.

Mais revenons à la période qui précéda les événements d’Espagne et du 19 juillet 1936, et qui ne laissèrent pas les frères Lapeyre indifférents. Avec de nombreux camarades toulousains et autres, ils furent de ceux qui, à la mesure de leurs moyens, organisèrent des réseaux pour expédier armes, médicaments et toutes sortes de choses utiles à la lutte de nos compagnons et compagnes de la CNT-FAI. Imaginons les dangers encourus et le courage qu’il fallait pour mener à bien de telles actions, dont on peut pressentir les risques évidents.

Mais Paul était aussi un syndicaliste, avec Julien Toublet, Pierre Besnard et tant d’autres — dont à Bordeaux le regretté et brillant camarade Fernand Gouaux — il sera de ceux qui, en 1933-1934, construiront la CGT-SR, pépinière de militants de valeur.

Avec Louis Lecoin, ce furent L’Espagne antifasciste et SIA [1]. C’est dire combien l’action de Paul a été soutenue et diverse.

Vient alors une période sinistre. Le 2 septembre 1939, c’est la guerre. Paul, comme bien d’autres camarades, faisait l’objet d’une surveillance serrée de la part des sbires du pouvoir. Tous ses propos et gestes épiés jusqu’au moindre détail, il dût, lui, le pacifiste, se rendre à son lieu d’affectation, et c’est ainsi qu’il se retrouva sur les bords du Rhin, face à l’ennemi « héréditaire ».

De toutes les luttes »

Note humoristique qu’il m’a mainte fois contée : il était affecté à la surveillance du côté opposé, depuis le clocher du village où son unité étant cantonnée. Il devait établir un rapport quotidien sur les mouvements des véhicules et personnes circulant sur la route parallèle au Rhin. mais, en face, dans le clocher de l’autre village, il y avait aussi son homologue de la Wehrmacht, chargé de la même mission évidemment, et qui, dès que la brume du fleuve se levait, échangeait avec Paul, par gestes le bonjour quotidien et rituel !

Puis vint mai-juin 1940. Ce fut la captivité. Et il ne revint à Bordeaux qu’au début de l’été 1945. Ce fut beaucoup de temps… de temps perdu, cela va sans dire.

La bataille reprit. la CGT-SR laissa la place à la CNT. Paul Lapeyre et Julien Toublet se retrouvèrent à la Fédération anarchiste et à la Libre Pensée. Le combat devait se mener en tout lieu.

le salon de coiffure des frères Lapeyre, au nº 44 de la rue de la Fusterie à Bordeaux, était le point de ralliement de nombreux copains libres penseurs, anarchistes, syndicalistes, pacifistes et militants réfugiés espagnols. Les publications, depuis Le Rail enchaîné de Raymond Beaulaton et Fernand Robert, Le Libertaire, La Raison, La Calotte d’André Lorulot, La Révolution prolétarienne, L’Idée libre, Contre-courant, Défense de l’homme, CNT… Tout ce qui se diffusait de militant était à la disposition dans ce salon de coiffure ! Les discussions et la chaleur fraternelle y étaient de mise. Nous sommes un certain nombre à en garder un souvenir ému… mais toujours très présent.

Il ne faudrait pas oublier ici l’œuvre d’éducation réalisée pendant un quart de siècle à travers l’École rationaliste Francisco-Ferrer, avec la participation active de notre camarade Jean Barrué. Des exposés, toujours suivis d’un débat, chaque jeudi soir à Bordeaux, rue des Trois-Conils, regroupaient très souvent un public assez jeune et attentif. Mais aussi, de nombreuses conférences publiques, tant pour la Fédération anarchiste que pour la Libre Pensée avec nombre de copains aujourd’hui disparus : Paul et Aristide Lapeyre, bien sûr, mais aussi André Lorulot, Maurice Laisant, Charles-Auguste Bontemps, Maurice Joyeux, Hem Day, Jean Cotereau et quelques autres.

Paul Lapeyre fût de tous ces combats, admirablement suivi par sa compagne, Jeannette, dont nous gardons aussi un très amical souvenir.

L’imposture religieuse, le bourbier des politicards, les va-t-en-guerre de tous calibres étaient nos ennemis. Le 2 mai 1991, vers 17 h, la camarde eut son dernier souffle à Burela.

Paul nous te gardons dans nos cœurs et nous continuons ton œuvre, sans désemparer.

Gérard Escoubet, groupe Sébastien-Faure de Bordeaux


[1Journaux antifascistes de soutien à l’Espagne libertaire