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Le Procès des barricades

décembre 1960.

D’un côté la réaction fasciste, de l’autre les forces libérales de progrès, entre les deux, nous préservant de l’abominable guerre civile, le sage, seul capable de mener à bien prudemment, mais fermement, l’accouchement sans douleur. C’est à peu près ainsi que la presse de gauche nous dépeint la situation ; nous sommes sur un volcan et Jupiter retient l’éruption.



En réalité, le cratère prêt à laisser déborder sa lave bouillonnante n’est qu’un paquet de mélasse. On ne s’y consume pas, on s’y englue.

Le procès des barricades : des juges qui n’ont pas envie de juger, donnant pratiquement leur verdict en rendant d’emblée une liberté qui, comme tout ce qui est provisoire, ne tendra qu’à durer. Des accusés — le terme est fort, car les charges dont on a bien voulu disposer paraissent minces — des accusés, donc, qui n’ayant pas à se défendre peuvent se consacrer entièrement à leur mise en valeur et qui y réussissent avec plus ou moins de bonheur. Demarquet fait un numéro de cirque et, piètre don Quichotte, menace d’embrocher même pas un moulin à vent mais M. Delouvrier, le vent lui-même. Comme dans les mauvais films l’homme du 5e bureau est là, chargé par le pouvoir de comploter contre lui. Toute une série fait l’admiration de L’Express : bons citoyens, bons pères de famille au casier judiciaire vierge ; les meilleurs renseignements sont fournis sur leur compte ; presque tous sont de modeste extrace, ils ont su parvenir à la force du poignet à une situation enviable, tel ce professeur agrégé de médecine fils de cheminot, tel ce pilote de ligne fils d’un instituteur tué à la guerre 1914-18 et élevé par sa mère institutrice. Ah ! les braves gens. Enfin, puisque fascisme il y a, viennent les représentants de ce malheureux fascisme français qui n’a de raison d’être que dans, par et pour le chef qu’il cherche depuis plus de vingt-cinq ans. Drieu La Rochelle avait cru le voir en Doriot, « le grand Jacques » ; aux dernières nouvelles Lagaillarde pourrait être ce Chef ; il ne nous a pas convaincu. Des gens ne figurent évidemment pas à ce procès : plus ou moins généraux, plus ou moins financiers, plus ou moins politiciens, mais de toutes façons comploteurs, ils se neutralisent les uns les autres.

Quant à l’autre volet du diptique : la gauche libérale, elle demeure fidèle à elle-même, avec ses préjugés crasseux. Si vous avez des doutes à ce sujet, assistez à une réunion des « Amis de L’Express ».

De Gaulle est-il la charnière ? Et bien non, nous ne serons pas injurieux : de Gaulle n’est pas un gond. De Gaulle n’as pas d’existence matérielle ; il n’est que le songe incohérent d’un peuple endormi — profondément.

P. Denais