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Bordeaux

Auto-organisons la lutte !

Le jeudi 22 octobre 1998.

Bordeaux est la ville de France où la mobilisation lycéenne a été la plus importante. Jeudi 15 octobre on était plus de 20 000 (selon les flics) à manifester. Vendredi 16 au lycée Victor-Louis, à Talence, une « boîte à revendications » permettait aux élèves de s’exprimer : plus de profs, moins d’élèves par classe et plus de moyens sont les demandes qui revenaient le plus souvent. Le lycée Victor-Louis accueille des handicapés, eux demandaient des ascenseurs qui ne tombent pas en panne régulièrement. Le vendredi 16 octobre le proviseur nous a annoncé : un poste de prof d’anglais, un poste de documentaliste titulaire ou un emploi-jeune, la construction d’une rampe d’accès pour les handicapés. Le recteur quant à lui a annoncé : 150 dédoublements de classes dès le lundi 19 octobre et de nouveaux emplois du temps après la Toussaint. Ils ont fait vite à l’annoncer !

Les lycéens sont en colère et ils le gueulent ; beaucoup ont le signe anarchiste sur la joue, quelques banderoles et des slogans appellent à la révolution. Malheureusement, pour une bonne partie d’entre eux, cette révolte c’est du vent et quand un des « chefs » parle au micro pour dire « on ne veut pas être récupérés » et « on ne fait pas de politique » et qu’il ordonne « déchirez les tracts qu’on vous donne ! » une bonne partie des lycéens écoutent le « chef ». Mais comment chanter des slogans « apolitiques » en manif ? Certains chantent les slogans des supporters girondins, d’autres la Marseillaise. Affligeant. Certains tentent d’établir une hiérarchie, une microsociété avec le schéma traditionnel : chefs, flics, troupeau ; comment ne pas vomir quand j’entends à la télé un parfait inconnu, se présenter comme le « président du mouvement des lycéens bordelais élu par des représentants de chaque lycée », représentants qui se sont élus eux-mêmes. Quand le journaliste interroge « le président » sur le service d’ordre instauré pendant les manifs (400 costauds à la dernière), il répond qu’il préfère parler de « service d’encadrement ». À voir les gueules d’abrutis du service d’encadrement je préfère parler de « sales flics ». Leur rôle c’est de ramener par la force s’il le faut (si ! si !) les brebis qui s’éloignent du troupeau parce qu’elles sont sur le trottoir pour voir passer la manif ou pour aller en queue ou en tête du cortège.

J’ai quand même vu un peu de soleil derrière tous ces nuages et quelques slogans bien révoltés me rassurent pour la suite. Nos revendications sont légitimes et peu importe qui les porte. Le proviseur du lycée a écrit à nos parents pour leur dire qu’ « une absence prolongée est susceptible d’avoir des effets négatifs le cas échéant sur l’orientation de votre enfant » ; et 40 élèves par classe, des emplois du temps surchargés et des locaux pourris ; ça nuit pas au bac ? Si ! Et ça les lycéens l’ont bien compris, c’est pour ça qu’ils ont décidé la reconduction de la grève et c’est pour ça qu’ils vont aux manifs plutôt que de rentrer chez eux, puisque la plupart des cours sont annulés par manque d’élèves.

Quand je vois des lycéens si heureux d’être en manif et si heureux de manquer les cours, je me rends compte davantage encore que le lycée est une prison où on s’emmerde à crever avant· le chômage. Ils nous préparent un avenir laid, on se donne un beau présent !

Pierre Ramine
Lycée Victor Louis (Talence)