Plus de 80 % des Français sont insatisfaits de la situation actuelle, nous disent les sondages. Nous constatons quotidiennement le recul des acquis sociaux.
L’avenir est à l’indice zéro. Les projets pour les générations futures apparaissent en négatif par rapport aux projets des générations précédentes.
La place de l’humain se réduit à la sphère familiale et se traduit par un désengagement de la vie collective. Ailleurs, l’homme est un objet dans les processus de production capitaliste, de consommation, de même dans la santé, etc.
Le travail s’accompagne d’un stress croissant, tant les conditions de travail s’aggravent : la vie des sans-travail et donc sans revenus se transforme en survie de misère. Ces deux conditions engendrent l’angoisse du lendemain.
La grande peur du changement
Face à cette insatisfaction, les citoyens ne luttent pas pour changer les choses. En effet, qu’il s’agisse de changer un peu ou beaucoup les choses, la peur de l’échec est toujours présente.
Échec du mouvement de novembre/décembre 1995 qui a mobilisé plus de manifestants qu’en 1968 et qui n’a quasiment rien apporté. Échec du mouvement des routiers de novembre 1996, obligés de recommencer en mai 1997 car les accords signés ne sont pas respectés. Ces échecs sont là pour dire et faire penser que toute mobilisation pour se défendre contre le système est vaine.
Seul un changement en profondeur semblerait remédier à cette situation. Malheureusement, l’histoire et la chute du mur de Berlin ont enseigné à tous que toutes les révolutions ont été suivies de dictatures.
Ainsi, pour tous, tout mouvement ne peut entraîner qu’un changement en pire !
Pas d’ailleurs meilleur
Avec la chute du mur de Berlin, ce système, le capitalisme, apparaît comme totalitaire à la surface du globe. Et nulle part n’existe un espoir concret auquel se raccrocher pour construire une alternative. On pouvait au moins se mentir sur ce qu’il y avait derrière le mur. Aujourd’hui, ce n’est plus possible, et face au néant beaucoup de citoyens réagissent par la peur du vide. De plus, le rouleau compresseur du capitalisme mondial victorieux entraîne un défaitisme grandissant.
Plus de conscience collective
Il n’y a aujourd’hui, quasiment plus de « nous », quasiment plus de « lieux communs », plus de conscience de « classe » ou « collective des exploités ou dépossédés, des insatisfaits ». Il y a un éparpillement des « je », une atomisation et individualisation des souffrances. De nos jours, on subit seul, isolé.
Un recul idéologique catastrophique : l’idée d’égalité est morte !
Un représentant du RPR, parlant de ses valeurs sur France Inter, défend « Liberté, égalité, fraternité », liberté de l’individu, liberté de l’entreprise et fraternité entre les hommes. Il ne trouve aucun exemple pour qualifier l’égalité. Pour Fabius et le PS, c’est l’égalité des chances. Ça veut dire des chances d’égalité ! Si tu n’as pas saisi ta chance, c’est de ta faute ! Conception perverse de l’égalité. Et pour le F’Haine, c’est l’inégalité des races ! Quand on sait que les races n’existent pas pour l’espèce humaine, on comprend qu’il reste le concept fondamental de l’inégalité ! D’ailleurs, son exemple de la course est significatif ! De toutes parts, on a crié au scandale mais personne ne s’est permis de défendre la notion d’égalité. Pourtant jusqu’à présent après une course, le premier comme le dernier participaient de la même façon au banquet. Ce n’est pas le cas dans la compétition capitaliste, modèle idéologique du F’Haine, le premier reçoit de quoi consommer plus qu’il ne peut ; le second un peu moins ; le dernier a tout juste droit à manger dans les Restos du Cœur si c’est en France et en hiver. À mourir de faim, de soif, de maladie si c’est dans un pays africain par exemple.
Même des amis chômeurs me disaient qu’ils ne revendiquaient pas l’égalité, mais seulement le respect ! Quel recul !
La liberté est vidée de tout sens !
La liberté est le concept vendeur de toutes les forces politiques. Mais elle n’est jamais qualifiée et toujours mythifiée ! Qui dira qu’il ne peut y avoir de liberté sans égalité ? Quelle liberté peut-il y avoir pour celui qui n’a que la possibilité de demander un emploi pour survivre à celui qui a pris le pouvoir de refuser ou d’accepter. La liberté est avant tout la notion de responsabilité pleine et entière de ses actes. Et pour cela, il faut que la société assure à chacun les moyens de la responsabilité, la libération des contraintes de la souffrance quotidienne et la sécurité du lendemain.
La solidarité et l’entraide en morceaux !
Face aux difficultés quotidiennes, les réflexes de solidarité et d’entraide des groupes humains exploités ne font plus leurs effets. Les années 80 ont fait croire au mythe de la réussite individuelle, les réflexes collectifs, transmis de génération en génération n’avaient plus leurs raisons d’être, ils ont donc été abandonnés ! Aujourd’hui que la nécessité de ces réflexes redevient nécessité, les voies pour les retrouver sont ardues. On assiste d’ailleurs plus à l’action caritative qu’à une action de solidarité.
Trois nécessités pour tout changer
- Faciliter l’accouchement du « je » au « nous », seul acteur du changement collectif.
- Lancer la reconquête idéologique de nos valeurs qui désertent la société au bénéfice des valeurs de la Nouvelle Droite.
- Reconstruire l’espoir, la pertinence et la crédibilité d’un changement révolutionnaire assimilable à un changement de civilisation.
Des constats aux actes
De tous ces constats, apparaît la nécessité de retravailler :
- le concept de révolution,
- le projet de société.
Cet essai se contente d’ébaucher le premier point. Mais le développement des deux points, on le verra dans la suite, sont, à notre sens, indissociables.
Une révolution démocratique et non autoritaire
Si les révolutions font peur, c’est qu’elles ont toutes conduit à des dictatures. Cette peur est justifiée par l’expérience historique. Elle le reste aujourd’hui encore. Le F’Haine a en effet deux rôles dans la société capitaliste :
- un rôle d’exutoire pour les victimes d’exclusions par le système en proposant des boucs émissaires (immigrés, politiciens…),
- un rôle de recours pour la bourgeoisie si les mouvements sociaux s’amplifiaient et devenaient dangereux (ses milices sont déjà bien préparées). Une révolution dans les circonstances actuelles a donc toutes les chances de bénéficier aux fascistes !
Si nous voulons l’anarchisme, nous voulons la révolution et si nous voulons la révolution, nous devons lever cet obstacle, cela signifie que la révolution ne doit pas être conçue comme le coup de colère, l’insurrection point de départ du changement mais comme son aboutissement.
À l’image de la chrysalide qui a en son sein, recroquevillés, tous les éléments du papillon qui sortira en imago libéré lorsque la chrysalide craquera, nous devons mettre en place les structures d’organisation qui feront fonctionner la société post-révolutionnaire.
La révolution est l’acte de changement où ces structures se révèlent largement majoritaires dans la société et imposent, avec la violence nécessaire et seulement celle-là, la transformation dans les faits par l’abolition de l’Etat et le remplacement ou la transformation des structures sociales.
Nous devons dès aujourd’hui investir ou créer les structures collectives, syndicales et surtout associatives, en préparer leur fédération.
Il nous faut donc travailler, et proposer largement d’en débattre, les éléments d’un projet anarchiste et en proposer en partant d’aujourd’hui des formes transitoires. Nous devons proposer aux structures collectives de débattre du rôle qu’elles peuvent avoir à jouer dans un changement radical de la société.
Les moyens d’aujourd’hui entraînent la fin que nous aurons demain !
Ainsi demain s’inscrit dans le présent. C’est la fin de la mystique révolutionnaire, du paradis perdu, c’est aussi un peu la fin de la peur du lendemain.
Comme on ne fait jamais du passé table rase, on a tout intérêt à inscrire dans le présent ce que l’on veut pour notre avenir. La révolution s’inscrit donc comme une étape de l’évolution et non en contradiction.
Soyons en donc conscients, aujourd’hui a commencé la période de transition vers la révolution libertaire. Chacun y a un rôle à jouer. Une révolution populaire par et pour le peuple. Ce sera une révolution démocratique (au sens de la démocratie directe bien sûr !).
Philippe Arnaud