Accueil > Archives > 2003 (nº 1301 à 1341) > 1341s, HS nº 24 (25 déc. 2003-11 févr. 2004) > [EDF et le nucléaire]

EDF et le nucléaire

vers un avenir radieux et irradié ?
Le jeudi 25 décembre 2003.

En matière de nucléaire, en France, il y a longtemps que la configuration n’avait pas été aussi mauvaise. Le gouvernement vient en effet d’avouer à demi-mot que le débat sur la construction du nouveau réacteur nucléaire baptisé EPR était déjà réglé en faveur de sa réalisation. Ce même gouvernement, accompagné des forces discrètes mais efficaces qui tirent bénéfice du nucléaire (profits, pouvoirs, etc.) vient de rallonger la durée d’utilisation des réacteurs initialement conçus pour dix-huit ans à… quarante ans (EDF aurait espéré aller à cinquante ans). Le site de Cadarache, dans les Bouches-du-Rhône, a de bonnes chances d’accueillir l’ITER, un réacteur monstre de fusion nucléaire dédié à la recherche internationale. L’obtention d’un décret couvrant du secret défense les informations sur le transport des déchets nucléaires couronne opportunément le tout, empirant l’opacité de ce secteur d’activités et favorisant la répression dont Greenpeace fait déjà les frais. Triste tableau.

De son côté, Électricité de France avance à marche forcée vers la libéralisation. Cette compagnie, avec ses achats d’opérateurs et ses ventes lucratives d’énergie à l’étranger, la mise en filiale progressive de certaines de ses activités (transports d’énergie, entretiens de réseaux, etc.), sa mise en conformité avec la libéralisation du marché des énergies en Europe suite à la signature de l’accord par Chirac et Jospin au sommet européen de Barcelone (2001), l’absence de vraies campagnes en faveur d’économies d’énergie, le non-renouvellement de 8 000 agents partis en retraite et l’absence de crédits parfois pour assurer correctement sa mission de service public, etc., fera l’objet d’un débat à l’Assemblée nationale en janvier sur sa privatisation. Qui doute de la décision politique qui suivra ?

Pendant ce temps, le mouvement antinucléaire français, malgré la permanence et la réactivité, souvent salutaire, du réseau Sortir du nucléaire [1], reste cantonné dans un rôle protestataire de vigie. Contre-information, organisation d’un temps fort au moins une fois par an, pressions diverses sur les médias et les élu.e.s, etc., tout est bon pour contrecarrer les efforts des nucléocrates qui, de la gauche à la droite de l’échiquier politique, d’Areva à EDF, des chambres de commerce aux états-majors militaires, pèsent très lourds dans les décisions jamais défavorables au nucléaire.

Mais on est loin des années Plogoff et de Golfech, mouvements populaires de désobéissance civile et d’actions directes qui ont fait la force et la popularité des opposants à l’atome civil et militaire. Même les illusions électorales se sont éteintes : le passage de Dominique Voynet au ministère de l’Environnement du gouvernement Jospin n’a pas laissé beaucoup de traces dans les esprits. Est-ce étonnant ? Alors, en route pour un avenir radieux et irradié ?

Nucléaire, service public et État

Voici quelques mois que le réseau national Sortir du nucléaire s’est lancé dans une réflexion à propos d’« un service public de l’électricité sans nucléaire ». Cette campagne, pour novatrice qu’elle soit de la part des opposants au nucléaire, reste limitée dans son impact. D’abord parce qu’elle n’aborde la question que sous l’angle de la réforme et du respect des institutions et du marché. Le recours à l’État pour la mise en œuvre d’actions mais le refus de critiquer celui-ci à propos de la situation actuelle, l’absence de critique du développement capitaliste qui conditionne la débauche de consommation énergétique, rien sur la mise en autogestion concrète du service public notamment par le biais d’un rapprochement des centres de production par rapport aux centres de consommation, le respect de la croyance dans le parlementarisme comme moyen de contrôle, etc. En réalité, cette campagne et les arguments qu’elle avance posent des jalons tout à fait intéressants, mais qui ne prennent pas en compte certains aspects auxquels nous sommes attachés. C’est normal : le Réseau n’est pas anticapitaliste, il n’est pas favorable à l’autogestion, il n’est pas défavorable à l’État ni à la délégation permanente des pouvoirs.

Dans le même temps, les salarié.e.s d’EDF, du moins les syndicalistes, sous la pression du calendrier parlementaire, réagissent à leur tour. La CGT, majoritaire aux élections professionnelles de cette année à EDF, a entamé depuis plusieurs mois une campagne de sensibilisation sur les conséquences concrètes de la privatisation. Cette campagne, axée sur les usagers, vient de se renforcer d’un tract de quatre pages, signé de la fédération nationale des Mines et de l’Énergie de la CGT qui exprime notamment le souhait « de sortir les services publics de l’énergie de l’économie de marché », « d’assurer le droit à l’énergie pour tous », d’aménager une meilleure place aux usagers dans les décisions qui les concernent. Là aussi, des avancées significatives émergent ; et là encore la portée et la dynamique se trouvent en butte à la toute-puissance de l’État, puisque c’est ce Moloch que le syndicat de Montreuil implore pour changer la situation subie. Or qui accompagne et oriente la libéralisation des services publics, si ce n’est l’État et les élu.e.s, de droite comme de gauche ? Quel espoir reste-t-il donc aux salarié.e.s d’EDF ?

Luttes pour la convergence

Au cours d’une réunion publique organisée le 11 décembre à Nîmes, le Collectif gardois pour des alternatives au nucléaire [2] avait décidé d’aborder la question du devenir du service public des énergies. À ce titre, l’Union fédérale des consommateurs mais aussi les syndicats de salariés d’EDF étaient contactés afin de participer au débat, depuis la tribune. En soi, cette démarche est déjà novatrice : d’ordinaire, les antinucléaires et les travailleurs d’EDF se regardent en chien de faïence quand ils ne s’insultent pas. Mais la situation incontrôlée et pesante pour les uns comme pour les autres, doublée d’une solide amorce de débat sur le service public menée dans les deux camps, est pour beaucoup dans cette rencontre d’un soir. Le débat a eu lieu de façon franche, fraternelle et fructueuse. Les deux militants de la CGT (dont un mandaté par son syndicat, le seul à avoir répondu favorablement à notre proposition) ont pu expliquer leurs inquiétudes pour l’avenir du service public, leurs difficultés grandissantes à travailler, leurs erreurs aussi à propos de la place du nucléaire dans la production énergétique, leur solitude face à des changements qui les dépassent humainement… Et les militants.e.s antinucléaires présents ont pu réaffirmer leur attachement à la notion de service public, en en précisant toutefois les contours, et en disant les erreurs qu’ils reprochaient à EDF. Des convergences se révélaient, les divergences étaient entendues.

En réalité, il y a un constat à faire et une perspective pleine d’espoir à valoriser. Les antinucléaires, malgré leurs efforts, n’ont pas fondamentalement lézardé l’édifice colossal de l’électronucléaire en France. Les salarié.e.s d’EDF (pour ne parler que d’eux) n’ont pu ni su résisté à la privatisation rampante. Les déclarations très fermes de la CGT-énergie à propos d’une résistance farouche des salariés à la privatisation débattue en janvier laissent aux antinucléaires une perspective de lutte convergente. Cette résistance sera peut-être le moment d’établir des jonctions avec les personnels en mouvement sur la base d’une redéfinition du service public, et de la place de l’électronucléaire dans ce cadre. La soirée qui s’est déroulée à Nîmes ne peut certes pas être généralisable, mais elle est un exemple significatif de ce qu’il est possible de faire. Aux anarchistes de déployer leurs efforts pour qu’une convergence s’opère, et de servir de trait d’union entre antinucléaires, usagers et travailleurs du service public. Cela dans la perspective d’une généralisation et d’une extension du conflit social qui ne devra pas faire l’impasse d’une analyse du rôle de l’État et du capitalisme dans la privatisation d’EDF, et dans le renforcement du pouvoir nucléaire en France. Cette convergence des idées devra aussi se traduire dans la lutte pour la réappropriation du service public des énergies. C’est une belle perspective, mais il faut faire vite.

Daniel, groupe Gard-Vaucluse


[1Ce réseau national fédère environ 650 associations locales ou nationales, dont la Fédération anarchiste.

[2Collectif regroupant diverses associations dont le groupe Gard-Vaucluse de la Fédération anarchiste.