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L’Amour, oui…

… comme je veux !
Le jeudi 25 décembre 2003.

La réflexion qui suit est le fruit de nombreuses discussions collectives et de recherche personnelle sur un sujet peu souvent abordé dans le cadre de nos luttes. Pourtant, les choix de vie que nous faisons dans le cadre dit « privé » sont éminemment politiques et il serait souhaitable que nos discours, dans ce cadre comme dans tous les domaines, soient en adéquation avec nos actes. Partager ses expériences, interroger ses idées préconçues, remettre en cause les modèles normés que l’on a ingurgités, est ce qui constitue et fonde l’action politique, non ?

Quand on prétend refonder radicalement les rapports sociaux, on ne saurait faire l’économie d’une réflexion sur les rapports amoureux et, plus globalement, sur les rapports affectifs, structurés notamment par le système patriarcal.

Les contrats d’amour

Différents types de contrats d’amour semblent être établis selon les cas et les histoires que nous vivons en amour. Ces contrats sont parfois discutés, parfois juste implicites entre deux personnes qui vivent une histoire commune. Beaucoup de problèmes de couple viennent de ce que deux personnes ne vivent pas le même contrat, et cela donne des asymétries douloureuses du type :

« Bah, ça me semblait évident que je pouvais être amoureux de ta sœur, tu avais dit que tu n’étais pas jalouse ! »

« Mais comment peux-tu dire que je te trompe ? Tu m’avais dit que tu ne voulais surtout rien savoir ! »

« Moi, je me prive, je n’ai jamais touché Frédérique en dix ans à cause de toi, alors que pourtant… Et voilà, toi tu couches avec Gwenn que tu connais à peine, c’est comme ça que tu me remercies ? »

« Alors, toi tu as le droit et pas moi ? »

Prenons donc comme base, sans en discuter davantage, qu’un contrat doit absolument être réciproque et choisi par tous les contractant.e.s, quel que soit le type de contrat. Mais au-delà des difficultés à discuter, établir, construire ou respecter un contrat quel qu’il soit, il faut d’abord savoir, pour soi, dans quel fonctionnement on a envie de vivre, sur quelle terre nous voulons que nos amours fleurissent. Rien n’est a priori bon ou mauvais en soi, mais une fois l’a priori dépassé, nos différentes façons de penser le ou les amours peuvent faciliter ou mettre franchement en danger notre accès au bonheur !

C’est ce qui m’amène à vous parler ici de ce que j’appelle le contrat de polyfidélité (ou encore polyamour) et si je ne propose pas ce modèle comme remède à tous les maux ou comme « la » seule et unique façon de vivre une relation amoureuse, j’aimerais, du moins, en exposer les francs avantages.

Au-delà de nos choix propres (ou sales !), ce qui nous réunit tou.te.s, c’est qu’il n’y a pas de règles, il n’y a pas de frontières à notre imagination. Aimer se réinvente dans chacun.e…

Les travers de la fidélité

En général, quand la vie nous amène à faire des choix, on commence par réfléchir à ce que l’on ne veut pas… ce qui nous aide ensuite à savoir ce que l’on veut !

Ainsi, ce que j’appellerai la « monofidélité », ou la fidélité classique, ne me semble, non seulement, pas souhaitable mais encore dangereuse et perverse.

Il s’agit ici de réfléchir en quoi la fidélité est, sans équivoque, un des piliers du système patriarcal qui consiste à s’approprier les femmes, à en faire « la femme de ». Ainsi, le contrat de fidélité classique repose sur la promesse réciproque et à vie de ne pas éprouver de désirs pour quiconque autre que l’élu.e. La trahison de cette promesse implique la fin du couple dont l’exclusivité est la définition même. Dans la version « dure » de ce modèle, ce n’est pas seulement l’investissement amoureux ou sexuel à l’extérieur du couple qui est prohibé, mais aussi la pensée ou l’envie en elle-même. Ce type de contrat qui est le seul labellisé par l’église et l’État (promesse de fidélité devant la/le maire) pose différentes questions : tout d’abord, est-ce viable ou réaliste, ensuite, est-ce souhaitable.

Bien sûr, devant les difficultés que suppose un tel contrat, le modèle de la fidélité classique cherche des aménagements « modernes ». Un des aménagements de la fidélité classique est d’accepter que soi-même et l’autre puisse ressentir des attirances autres (puisqu’on ne peut pas faire autrement) tant que personne ne passe à l’acte. Cet aménagement est ressenti comme une fatalité douloureuse mais réaliste du contrat classique. Deux problèmes se posent alors : tout d’abord, l’aménagement est vécu comme un pis-aller par rapport au modèle toujours référentiel de fidélité stricte, et cette frustration est traduite ou en culpabilité ou en reproches selon que la faute est portée par soi ou par l’autre. Dans ce cas, l’interdit du passage à l’acte demeure le socle même de la relation…

Un autre aménagement de la fidélité classique consiste à « faire mais pas dire » : ce fonctionnement est souvent utilisé, mais il est en lui-même rupture du contrat de fidélité.

La rupture est d’ailleurs son résultat lorsque l’information arrive par un canal extérieur… tout cela sans compter que le mensonge et la culpabilité n’aident pas franchement à vivre/construire une relation épanouissante.

Pourquoi la polyfidélité ?

D’une part, le choix d’un modèle non réalisable échoue très logiquement et amène la recherche de la faute, faute étant supposée responsable de l’échec. Cette recherche de la faute amène le reproche pour l’autre et la culpabilité pour soi. Ce problème absolument évident est celui de la judéo-chrétienté tout entière. Alors, ayons le courage de sortir de nos systèmes de pensée religieux pour progresser un peu.

D’autre part, l’équation construite par ces contrats repose sur la négation pure et simple des envies que l’on n’est pas censé.e.s avoir ou le sacrifice revendiqué des envies que l’on reconnaît avoir. Si la négation et le sacrifice revendiqué ne sont pas sains en eux-mêmes, ils sont en plus utilisés dans une équation perverse du type souffrance/frustration/privation = preuve d’amour.

Aimer quelqu’un.e, que ce soit dans un rapport amoureux, parental ou d’amitié, ne peut se penser sainement comme une mutilation perpétuelle. Lorsqu’on est tombé.e amoureus.e d’une personne sa liberté faisait partie de l’admiration que nous avions pour elle, au nom de quoi serait-ce la privation de cette liberté qui deviendrait le garant de cet amour ?

Aimer quelqu’un.e, c’est lui vouloir du bien. S’aimer soi-même, c’est important aussi et c’est se vouloir du bien.

L’amour, oui comme je le veux… ça veut dire que je m’autorise à vivre mon affectivité telle que je la conçois et la désire… sans avoir à choisir entre deux personnes que j’aime par exemple… choisir qui ? Sur quel critères ? Au nom de quoi ?

Certain.e.s diront que ce que je décris correspond à ce que l’on appelle « l’amour libre » et bien, non, rien à voir…

Si j’en ai bien compris tous les enjeux, il semblerait que « l’amour libre » porte mal son nom. En effet, « l’amour libre » repose sur un contrat de fidélité de cœur mais pas de corps, c’est-à-dire : on aurait le « droit de baiser ailleurs » tant que ça n’implique pas de sentiments. Ce qui importe, c’est de ne pas tomber amoureuses/eux, sinon cela remet en cause l’union entre les personnes qui sont sensées former le couple. En dehors du fait que je trouve que ce fonctionnement a ses limites car le contrôle exercé sur l’autre me semble être le même que dans un contrat de fidélité classique, une sexualité « uniquement et surtout sans amour » me pose quelques questions… notamment sur ce que ce contrat est censé remettre réellement en question dans les rapports hommes/femmes en particulier. Ce fonctionnement ne me paraît pas très révolutionnaire puisque ce sont surtout les hommes qui en profitent en l’occurrence, au vu de la « réputation » qu’une femme se laissant aller à ses désirs peut se voir attribuer.

De plus, d’après ce que j’ai pu observer, il semble que ce fonctionnement ne dure qu’un temps : une sorte d’accord tacite est entendu dans le couple quand les deux personnes choisissent de vivre « l’amour libre » : elles sont d’accord, en effet, jusqu’à ce que leur histoire devienne « sérieuse », comme s’il y avait un ultimatum à leur amour, le « bon, maintenant, on arrête les conneries » est donc une ponctuation à leur fonctionnement « libre » si l’heure a sonné d’être un « vrai couple ».

Personnellement, ce que je désire vivre se situe dans un tout autre cadre. Ce que je veux, c’est justement être amoureuse quand je vais « voir ailleurs » ! La polyfidélité, pour moi, permet de tendre vers une relation égalitaire, au moins parce qu’elle impose d’accepter la personne aimée un peu plus pour ce qu’elle est réellement. Accepter l’autre avec ses envies, ses désirs, et surtout accepter que l’on n’apporte pas tout à une seule et unique personne…

Le mythe sur lequel repose l’exclusivité est, pour moi, la source de nombreuses déceptions mais également de violences. En effet, la personne aimée prétendue être la seule et unique à « convenir » mais également sensée être la seule et unique source d’épanouissement affectif et sexuel est donc « façonnable à souhait », tant qu’elle ne correspond pas à l’objet du désir de l’autre.

Permettons-nous de vivre des relations où s’il y a « rupture », c’est par choix, c’est-à-dire si la nature de la ou des relations que nous vivons ne nous convient plus… et non pas parce que l’on s’est imposé des règles que l’on n’a pas vraiment choisi.

Je ne dis pas que la polyfidélité est facile à vivre et qu’il suffit de se dire qu’on a envie de le vivre pour que tout se passe bien. Oh, non le contrôle social est souvent là pour nous « remettre dans le droit chemin » il se traduit par le regard des autres, leur jugement et tout ce qui les accompagne. Et là, bien entendu, lorsque l’on est une femme, la sanction tombe rapidement et violemment (cf. les gentils qualificatifs comme « salope » ou autres sobriquets tout à fait intéressants…)

Une femme qui vit ses désirs, sans se cacher est donc une « salope », ou encore une « pute » (puisque le langage courant laisse entendre que c’est une insulte). Le mieux, c’est la version : « C’est normal, les féministes, z’ont des problèmes avec les mecs… alors elles se vengent, elles les font souffrir. » Et pour les lesbiennes, c’est quoi la version ?

Il y a aussi tout ce que l’on a intégré et, là, c’est contre soi-même qu’il faut se battre des fois.

Certes, il faut batailler, mais nous n’aurons rien sans avoir lutté…

Adeline


Adeline milite au groupe de Nantes de la FA.