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Les Accords d’Oslo, la globalisation et l’immigration en Israël

Le jeudi 25 décembre 2003.

Depuis 1995, 35 000 ouvriers israéliens arabes ont perdu leur emploi dans le secteur de la construction. Cela s’est fait en deux temps : d’abord avec l’exclusion du marché du travail des Palestiniens venant de Gaza et de Cisjordanie. Ensuite avec l’arrivée massive d’une main-d’œuvre étrangère.

Les accords d’Oslo ont été un marché de dupes dont l’un des gagnants est, à coup sûr, le patronat israélien. « Grâce à Oslo, la bourgeoisie israélienne avait gagné du temps pour remplacer la main-d’œuvre palestinienne, bon marché mais peu disciplinée, par une main-d’œuvre moins chère et moins volatile [1]. »

De passage à Paris, Assaf Adiv, militant du WAC (Working Advice Center : centre de conseil et d’information sur les droits du travail) et militant contre l’occupation israélienne, revient sur les « accords de paix » d’Oslo et sur la globalisation mise en pratique, dans le même temps, en Israël. Il décrit également la lutte sur le terrain des ouvriers israéliens palestiniens avec son association pour leur droit au travail.



Chroniques rebelles : En 1992, Rabin a déclaré : « Sortons Gaza de Tel-Aviv ». Quelle en a été la conséquence pour les travailleurs palestiniens de Gaza et de Cisjordanie ?

Assaf Adiv : Le slogan a été très populaire parmi la population israélienne. Dans la réalité, cela s’est traduit par la fermeture des territoires occupés. Pour les travailleurs venant des territoires palestiniens, la conséquence a été une très forte hausse du chômage. Le bouclage des territoires occupés a été utilisé pour faire pression sur les Palestiniens. Sans cela, les Palestiniens n’auraient jamais accepté les concessions faites à Oslo. C’est une des conditions économiques qui a cassé les Palestiniens.

Chroniques rebelles : Combien de travailleurs palestiniens ont-ils perdu leur travail depuis cette époque ?

Assaf Adiv : Donner des chiffres est difficile car beaucoup de Palestiniens travaillent sans permis. Les chiffres officiels parlent de 60 000 personnes, mais l’on sait très bien qu’il s’agit plutôt de 120 000 personnes. Depuis la seconde intifada, la fermeture totale, avec le mur gêne physiquement quelque 10 000 personnes. C’est différent pour Gaza qui est entourée par une clôture hermétique. Tous ceux et toutes celles qui quittent Gaza sont obligé.e.s d’être en possession d’une carte magnétique et de passer par Erez Check Point, contrôlé par l’armée. La situation, due au bouclage des territoires, a affecté des centaines de milliers de personnes puisqu’il est question de 120 000 travailleurs dont la famille vit sur un salaire, cela revient à 50 % de la population.

Chroniques rebelles : Cela a-t-il eu un effet sur les travailleurs israéliens ?

Assaf Adiv : À ce stade, ce sont les patrons qui ont protesté, ils se retrouvaient sans main-d’œuvre et réclamaient des travailleurs. Rabin a donc décidé d’aider les employeurs en faisant appel à une main-d’œuvre étrangère. Ce qui, en Israël, participa au processus de globalisation.

Dans le secteur de la construction, les Roumains remplacèrent les Palestiniens, et dans le secteur agricole, ce furent les Thaïlandais. Ces immigrés étaient plus fragiles que les Palestiniens en termes de négociation des salaires et de conditions de travail. Les Palestiniens sont souvent exploités sur le marché du travail en raison de la situation politique, mais les travailleurs immigrés le sont encore plus. S’ils quittent leur emploi à cause de mauvaises conditions, les immigrés se placent dans l’illégalité et, s’ils sont pris, ils sont expulsés. Ce qui n’était pas le cas pour les Palestiniens qui, même avec le bouclage, pouvaient téléphoner, faire intervenir un homme de loi, ou une association. Nous sommes précisément une des associations qui prend en charge ces problèmes. Les salaires des immigrés sont plus bas que ceux des Palestiniens, bonne affaire pour les patrons qui bénéficient d’une main-d’œuvre bon marché et quasi inépuisable. En 2001, les travailleurs immigrés occupaient la plupart des emplois dans la construction, l’agriculture et le secteur des services. Il ne restait que peu de travailleurs locaux dans ces secteurs. Cela touchait évidemment les travailleurs israéliens, mais surtout les Israéliens arabes.

Chroniques rebelles : Quel est le nombre de travailleurs immigrés en Israël ?

Assaf Adiv : Le chiffre de 100 000 travailleurs immigrés légaux a été atteint. En tout, 250 000 à 300 000 travailleurs immigrés dont deux tiers d’entre eux étaient illégaux. C’est-à-dire qu’en Israël, plus de 10 % des travailleurs étaient des immigrés sur à peu près 2,5 millions de personnes sur le marché du travail. C’est le plus haut pourcentage de travailleurs immigrés dans le monde occidental, après la Suisse.

Chroniques rebelles : Tu parles d’immigrés légaux et illégaux. Existe-t-il des accords pour la venue d’une main-d’œuvre étrangère entre les États chinois, thaïlandais, roumain, etc. et l’État d’Israël ?

Assaf Adiv : Évidemment, il y a eu des accords. Mais tout n’est pas entièrement officiel. Les agences pourvoyeuses de travailleurs immigrés encaissent des milliers de dollars de la part des immigrés qui viennent travailler en Israël. Je parle des immigrés légaux ; les illégaux arrivent comme visiteurs. Le gouvernement israélien permet l’importation légale et temporaire de cette main-d’œuvre, sans aucune garantie pour les personnes. Les accords sur les conditions qui lient les employés à leur employeur ne tiennent aucun compte des droits des travailleurs.

En Israël, aucun contrôle n’est en place, donc les patrons ont tous les droits. Nous avons rencontré des travailleurs turcs qui n’avaient pas perçu les deux premiers mois de leur salaire. Les conditions de logement sur les chantiers sont aussi souvent inacceptables.

Certaines des entreprises qui acceptent, à présent, de réembaucher des Israéliens arabes, ont adopté de mauvaises habitudes avec les travailleurs immigrés et traitent la main-d’œuvre comme du bétail.

Si les travailleurs immigrés décident d’être mieux traités, s’ils quittent leur travail, ils deviennent illégaux. Le patron les dénonce à la police. Nous avons fait paraître une enquête sur cette question dans Challenge [2]. Les patrons israéliens utilisent la main-d’œuvre immigrée bon marché pour écraser les travailleurs palestiniens.

Chroniques rebelles : Quelles sont les motivations du patronat israélien : économique, politique, idéologique ?

Assaf Adiv : En Israël, les ouvriers chinois sont considérés — d’un point de vue sécuritaire — plus fiables que les citoyens d’Israël d’origine arabe. Nous devrons cependant, un jour ou l’autre, vivre ensemble.

Chroniques rebelles : L’opinion israélienne est-elle consciente de la situation des travailleurs immigrés en Israël et des conséquences que cela engendre vis-à-vis des travailleurs palestiniens et Israéliens arabes ? Dans le film, A Job to win [3], on voit l’ex-ministre du Travail parler d’esclavage moderne. Depuis ce constat que s’est-il passé ?

Assaf Adiv : Un des premiers effets visibles de l’immigration, c’est la transformation, à la fin des années 1990, du sud de Tel-Aviv, qui est une ville d’immigration : les habitants sont originaires d’Afrique, de Chine, de Thaïlande, des Philippines, et ils sont donc, à première vue, différents des Israéliens. Plus personne n’ignore le phénomène. Il y a eu des réactions dans le sens où la question a été débattue et médiatisée. Des pressions ont même été exercées sur la municipalité de Tel-Aviv pour obtenir des aménagements destinés aux enfants d’immigrés.

Pour éviter ce type de problèmes, des associations israéliennes ont ouvert une clinique pour les immigrés. Des associations comme Kav la Oved [4], qui aidaient les travailleurs palestiniens avant que ceux-ci ne soient privés de travail suite au blocus des territoires, se tournent vers les travailleurs immigrés et font beaucoup pour que l’opinion publique soit alertée sur cette question de l’immigration. La presse s’en est fait l’écho, et c’est alors qu’a commencé la campagne pour l’expulsion des travailleurs immigrés sans papiers.

Chroniques rebelles : Comment réagit l’Histadrout, principal syndicat israélien ?

Assaf Adiv : Le processus de globalisation a été mis en place entre 1992 et 2000. Au début des années 1990, il y avait la promesse que le nouveau capitalisme allait apporter la prospérité et la paix dans le monde. Il y a eu Oslo… Et l’Histadrout a sauté à pieds joints dans ce processus. Le syndicat était bien implanté dans l’industrie, mais aussi dans le tourisme et dans les grandes entreprises de construction. L’Histadrout a, durant cette époque, favorisé la privatisation générale de toutes les entreprises et, maintenant, le syndicat change ses positions et se déclare contre le gouvernement et la privatisation de l’électricité et des ports. Quand le syndicat a constaté le grand nombre d’immigrés en Israël et ce que cela pouvait rapporter, les dirigeants de l’Histadrout ont pris contact avec les agences qui fournissent la main-d’œuvre immigrée et leur ont suggéré d’enregistrer les adhésions de ces derniers au syndicat. Quelques agences ont été d’accord, mais sans pour autant le dire aux travailleurs immigrés, et sans que le syndicat organise la moindre information sur leurs droits. En revanche, le syndicat percevait les adhésions, 20 ou 30 shekels (4 ou 5 dollars) par mois. Et si l’on multiplie la somme par 50 000 personnes, chaque mois, ce n’est pas si mal…

L’Histadrout n’a donc rien fait jusqu’à aujourd’hui, rien. Même l’année dernière, pendant la campagne pour l’expulsion des travailleurs immigrés sans papiers, alors que la police les pourchassait, les emprisonnait et les traitait de manière barbare, le syndicat est resté silencieux. Pour les travailleurs palestiniens et leur mise à pied forcée par le bouclage des territoires, le syndicat, bien qu’étant dans le gouvernement, n’a pas réagi non plus.

Chroniques rebelles : Existe-t-il, en Israël, un code du travail, des conventions collectives, des règles pour protéger les travailleurs israéliens et les travailleurs immigrés ?

Assaf Adiv : Les lois sur le travail sont assez développées. Le système israélien a été construit au moment où le parti au pouvoir était influencé par l’État-providence, par la social-démocratie européenne, et même par l’Union soviétique pour une partie de l’establishment sioniste. L’Histadrout a été importante dans la mise en place de l’État israélien, dans l’établissement et le développement des lois sur le travail.

Chroniques rebelles : Quel est le nombre d’heures de travail par semaine ? De jours ouvrés ? De jours de congé ?

Assaf Adiv : La loi fixe à 43 heures le travail hebdomadaire. Si on le compare à la France, c’est évidemment moins bien. Cela va jusqu’à 45 ou 49 heures. Une partie du pays fonctionne sur la semaine de cinq jours, le sixième jour étant court.

Dans le secteur de la construction, la main-d’œuvre immigrée — qui vit près des chantiers, dans des containers ou des baraquements — se retrouve inoccupée après le travail. Donc, les ouvriers cherchent à faire des heures supplémentaires. Ils sont payés 2 dollars de l’heure, ce qui est bien inférieur au salaire minimum. S’ils travaillent 250 heures supplémentaires par mois, cela signifie 500 dollars de plus. Le reste du temps, ils dorment.

Alors, maintenant, quand des travailleurs locaux, les Israéliens arabes, reviennent sur les chantiers, ils se trouvent confrontés à des pratiques qui vont à l’encontre des lois du travail, fondées sur les huit heures par jour. Pour les patrons, ce n’est pas intéressant, ils veulent revenir sur ces lois et préconisent des journées plus longues.

Chroniques rebelles : Et l’assurance-chômage ?

Assaf Adiv : L’assurance nationale permet de recevoir une aide — qui était auparavant assez développée en Israël — mais durant les cinq dernières années, les autorités se sont évertuées à réduire considérablement toutes les allocations.

Chroniques rebelles : Quel est le rôle du Working Advice Center ?

Assaf Adiv : Le WAC est une association destinée à conseiller, informer les travailleurs sur leurs droits. Elle est née d’une initiative indépendante. Cela vient aussi de l’abandon par l’Histadrout de son rôle syndical face à l’importation massive d’une main-d’œuvre étrangère, et après l’exclusion de la main-d’œuvre locale et palestinienne du marché du travail. Au début des années 1990, nous nous sommes dit qu’il fallait faire quelque chose. Ceux et celles qui sont à l’initiative du WAC n’étaient pas, pour la plupart, des syndicalistes. Nous étions des militants du mouvement contre l’occupation de la Palestine. Nous avons fait de la prison en raison de nos luttes. Le WAC a commencé avec des chômeurs, et nous avons compris qu’il fallait lutter pour retrouver les emplois desquels ils avaient été virés, parce que le chômage est un cercle vicieux. Et il faut aider les gens à s’en sortir, à retrouver du boulot.

Cela a commencé avec l’une des plus grandes entreprises de construction qui a embauché, par notre intermédiaire, des ouvriers locaux. Si vous demandez aux dirigeants de ces entreprises comment ils voient le WAC, s’ils considèrent le centre comme un syndicat des Israéliens arabes, ils vous répondront non, mais que le WAC leur a permis de trouver des ouvriers qualifiés. Un des responsables nous a dit qu’il nous considérait comme une nouvelle Histadrout. Nous négocions les droits des travailleurs et nous les défendons en cas de rupture de contrat ou autre problème.

Chroniques rebelles : Comment vois-tu le WAC dans le futur ? Quel est le nombre d’adhérents, de membres actifs de l’association ?

Assaf Adiv : La nature de l’association est en pleine transition. Actuellement, c’est un centre qui conseille les travailleurs, leur donne des informations sur leurs droits, et propose des solutions légales pour se défendre dans les conflits du travail. Nous nous situons entre le conseil et le syndicat. Notre but est d’éveiller les consciences, d’organiser des groupes, d’abord dans le secteur de la construction. Cela peut encore se développer. Le WAC peut être une association de défense légale des travailleurs ou un centre syndical.

Nous organisons aussi des activités culturelles et sociales avec les enfants. Environ 1 000 personnes animent l’association et travaillent autour de ces actions. Le projet du WAC est multiple et nous avons quatre bureaux de permanence.

La plupart connaissent mes convictions politiques, ils savent aussi que je n’ai pas de religion, mais cela ne freine en rien le travail collectif, la dynamique du groupe. Les membres de l’association sont solidaires et concernés par la défense de tous les travailleurs, sans distinction. Le centre est là pour tout le monde. Ce point est essentiel pour nous, surtout pour les jeunes avec lesquels nous organisons des activités culturelles et sportives.


Extrait d’un entretien du 14 novembre 2003, diffusé le 6 décembre sur Radio libertaire, lors de l’émission « Chroniques rebelles ».


[1« Le processus de paix et la restructuration du capital israélien », Échanges et Mouvement, octobre 2003.

[2Challenge, magasine israélien bimensuel qui couvre le conflit israélo-palestinien : PO box 41 199, Jaffa 61 411, Israël. Tél. : 972-3-6839145. Site web http://www.hanitzotz.com/challenge/.

[3A Job to win, documentaire réalisé par des cinéastes israéliens (sous-titré en anglais), raconte la lutte menée par des ouvriers chômeurs, Israéliens arabes, pour un emploi, une véritable enquête sur la discrimination, la corruption et l’enjeu économique de la globalisation en Israël. Nir Nader, Tél. : 972.3.6839.145 (e-mail : alsabar@netvision.net.il).

[4Kav la Oved, groupe de défense des travailleurs. http://www.kavlaoved.org.il.