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Corse : la violence renforce l’État

Le jeudi 19 février 1998.

La Corse fait à nouveau parler d’elle. Depuis plus de 20 ans maintenant [1] la chronique insulaire est alimentée par la relation d’événements très souvent plus sanglants les uns que les autres…

Faisant suite aux occupations de terres et aux rebellions des origines, les nombreux assassinats, les attentats aveugles, ont conduit peu à peu cette lutte dans l’impasse du terrorisme, l’engageant même vers une dérive mafieuse de plus en plus prononcée.

L’assassinat du Préfet Erignac s’inscrit dans cette logique meurtrière maintenant installée dans l’île comme la trame de fond quotidienne de la vie publique.

C’est la continuation logique et malheureuse de l’idéologie nationaliste originelle, laquelle, en Corse comme ailleurs, s’inscrit dans une dynamique d’affrontement d’État à État, de peuple contre peuple. En réalité, toutes choses qui ne peuvent mener à terme qu’à la guerre entre des entités autoritaires, identiques dans leurs comportements mais opposés au plan de leurs intérêts « nationaux »…

Certains « idéologues » des « luttes de libération nationale » ont voulu justifier leur discours en le fondant sur un principe : « la différence affirmée entre la NATION comme une “entité objective”, et le NATIONALISME, concept qui n’en serait que l’idéologie dévoyante… ». Ils tentaient, ce faisant, de définir une frontière factice entre « … la “nation”, qui serait l’essence du peuple, son identité culturelle, et le nationalisme, qui ne serait que l’usurpation idéologique entreprise par la bourgeoisie, toujours prête à s’allier avec d’autres bourgeoisies “étrangères”… ».

L’histoire nous a enseigné que la nature profonde de la nation, sa tendance naturelle est d’en opprimer d’autres. Les anarchistes pensent, de manière encore plus prosaïque, que la violence aveugle et le terrorisme meurtrier plongent leurs racines dans les idéologies autoritaires et archaïquement étatistes, y compris lorsqu’elles prétendent combattre le pouvoir en place !

L’idéologie nationale, qui a emprunté la voie autoritaire du terrorisme, a justifié, au bout du compte, le terrorisme d’État. Ce dernier en effet, par un simple mouvement pendulaire, a toujours renvoyé la réponse de la répression et du terrorisme organisé (légitimé au nom de la « raison d’État ») à la violence perpétrée par des « terroristes contestataires ».

Nous avons constamment rejeté, avec la plus grande fermeté, cette logique de meurtre qui fait de « l’acte isolé et irrationnel de tuer » un mode de résolution des antagonismes.

Nous rejetons toutes les tentatives de justifications de cet acte au moyen de discours empruntés à la « rhétorique simpliste de l’idéologie nationale », justifications qui conduiraient à présenter l’assassinat d’un représentant de l’État colonial comme une étape de la libération (de quoi ?)… Nous condamnons à l’avance, avec la plus grande fermeté, toute tentative de justification d’assassinats, que ce soit au nom du nationalisme, des intérêts français ou autre… !

Retour à l’ordre ?

Par contrecoup, ce meurtre donne du grain à moudre aux partisans de tout acabit de l’ordre et du pouvoir. Chirac, Jospin, Chevènement, Hue, Séguin, Bayrou, de Villiers, Pasqua, Debré, Charasse,… Le Pen, tous y vont de leur couplet sur « l’unicité de l’État… la défense des valeurs républicaines… l’autorité de l’État… la détermination absolue de l’État… ». Dans les faits, des « terroristes corses » ont été reçus par divers ministres de l’Intérieur. Des trêves ont été discutées et des compromis ont été passés sous le sceau du « secret d’État ».

La fraude fiscale en Corse est connue de la haute administration [2] et pourtant la dite « dérive mafieuse » s’en est alimentée, favorisant au passage les intérêts de certaines personnalités de l’île… et du continent.

La réponse des dirigeants de l’État se voulait à la mesure du choc que le meurtre d’un préfet de la République a produit dans l’opinion. Les pandores se sont empressés d’arrêter deux jeunes maghrébins avant de les relâcher… sans autre motif… Terroriser de jeunes « Beurs » c’est assurément plus facile que de d’affronter les encagoulés…

Nommer un nouveau préfet à la « la main de fer dans un gant… de fer », c’est aussi la réponse que l’État a choisi en installant officiellement [3] M. Bonnet, ancien préfet des Pyrénées Orientales. « C’est l’homme qu’il faut… là où il faut », a déclaré Chevènement. Nous n’en doutons pas. Un des hauts faits d’armes de cet homme à poigne n’est-il pas d’avoir terrorisé la contestation populaire d’un petit village catalan [4] en faisant notamment matraquer des enfants et des femmes septuagénaires…

L’État n’a aucune solution à apporter au marasme économique, social et politique qui existe dans l’île. D’ailleurs ce marasme, compagnes et compagnons corses, nous le côtoyons au quotidien sur le continent !

Le « nationalisme » n’a d’autre solution à proposer que celle d’opposer des peuples sur la base de différences culturelles, ethniques… supposées, favorisant en cela la pérennisation du pouvoir des nantis sur celles et ceux qui n’ont rien…

Le fédéralisme et le socialisme libertaire nous indiquent la voie à suivre pour l’émancipation sociale, économique et culturelle des individus et collectifs confrontés à l’exploitation capitaliste et l’aliénation étatique.

Aujourd’hui nous en appelons à la solidarité entre tous les exclus, précaires, chômeurs, Rmistes et exploités de Corse, du continent et de la planète entière pour en finir une bonne fois pour toutes avec les terreurs individuelles et d’État. Une société égalitaire, libertaire, fraternelle et plurielle nous tend les bras. Il nous faut la construire ensemble.

E.S.


[1C’est en 1970 que le Front de libération nationale de la Corse (FLNC) était fondé, c’était au plus fort du temps des luttes « régionalistes et nationalistes »…

[2Lire à ce sujet l’article de M. Codaccioni et D. Le Guilledoux dans Le Monde du 12 février 1998.

[3Le 13 février 1998, installation faite en présence de M. Chevènement.

[4Il s’agit de Vingrau, petit village à 20 km de Perpignan…