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Cinéma

Nouvelles de Cannes (3)

des films sans récompenses
Le jeudi 11 juin 1998.

Peu d’écho dans la presse autour des films interrogeant notre présent, en profondeur et sans scandale. Citons pour exemple, le Claude Mouriéras Dis-moi que je rêve. Pas de scandale dans cette famille, à part l’amour jamais défaillant, pas d’inceste, pas de transgressions croustillantes, mais des vaches porteuses de chaleur animale et non de maladie, des hommes avec leur grain de folie qui dénote le « trop » de leur désir d’humanité. (sortie, 3 juin).

La Pomme de Samira Makhmalbaf, 18 ans, fille du cinéaste Mohsen Makhmalbaf est un film réjouissant. Par l’action conjuguée des voisins et de l’assistante sociale, deux jeunes filles de 13 ans, enfermées par un père trop angoissé pour les lacher dans la rue, (la vie) car la mère est aveugle, sortent et découvrent… en fait rien d’extraordinaire, des pommes par exemple, la rue, une voie de chemin de fer, un jeu de marelle et elles entrent dans la ronde. Mais n’est-ce pas là l’essentiel ? Le film est une victoire de la beauté et de la poésie sur la laideur de l’enfermement.

Du côte des femmes, il y a eu aussi des films remarquables qu’on a ignores. Laetitia Masson avait jeté avec En avoir ou pas un beau pavé dans la mare de la bienséance du cinéma français. Avec son deuxieme long métrage, À vendre, son propos se corse et se complique… et qui veut des complications ? Sandrine Kiberlain est encore au centre de son film. Avec un culot monstre, cette belle fille se fout à poil au milieu d’un champ ou pleure à vous donner des frissons. Elle pleure en compagnie d’une poule réélle, et ce n’est pas la seule image surréaliste du film. Elle se casse la figure, mais quel prix a la liberté ? Elle veut juste vivre et ne pas souffrir de l’amour, des étreintes si nécessaires et si compliquées. Laetitia Masson lui a donné un italien comme partenaire dont la grande carrure mangue la fragilité, Sergio Castellitto. Un couple étonnant est né. Il fuit et il la suit. Un film avec un trop plein d’idées et d’images. Si dans le film de Laetitia Masson, la femme se fait payer pour éviter le lien par le sentiment, Isabelle Huppert, qui incarne le personnage central de L’École de la chair de Benoit Jacquot paie pour se réserver les faveurs d’un jeune homme qui se prostitue comme d’autres prennent une douche. C’est le sexe sportif et l’ignorance profonde du jeu subtil des désirs contradictoires. (sortie non communiquée).

Ceux qui m’aiment prendront le train de Patrice Chéreau donne des interprétations grandioses des tourments de cœur et de sexe en ne lésinant pas sur le nombre des personnages. Un film adulte, une somme. Mais pas de prix. Alors qu’il y avait des prix d’interprétation possibles et en quantité : Jean-Louis Trintignant, proprement stupéfiant dans un rôle double ; Pascal Greggory à la fois proche et lointain, inquiet et blasé donne profondeur et épaisseur à son personnage ; Vincent Perez en folle, travesti, chaleureuse personne humaine ; Valeria Bruni-Tedeschi, une souffrance et une passion torrides et les plus beaux yeux bleux du cinéma… Et évidemment, c’est à Patrice Chéreau que reviendrait prix d’excellence d’humour et d’ironie. Peut-on traduire toute cette finesse dans les langues des membres du jury de Cannes, explication peut-être hative, mais possible du choix de film d’Angelopoulos pour la palme d’or car son film se comprend sans paroles. L’Éternité et un jour est de toute façon un très beau programme.

Heike Hurst — émission « Fondu au Noir » (Radio libertaire)