Albert Camus me parlait avec sympathie de Maurice Joyeux et des libertaires. Il tenait peut-être de son sang espagnol cette fierté un peu ombrageuse qui est celle de beaucoup d’hommes libres. Plus qu’un grand moraliste dans la tradition française, il fut sans doute un homme de sensibilité, à l’espagnole. Et ce qu’il sentait, et qu’il a exprimé comme personne n’avait su le faire, c’est l’extrême respect dû à chaque individu, fut-il le plus humble.
Il n’y avait aucun fossé entre l’homme et l’écrivain. Aussi tout ce qu’on l’on essaye d’écrire sur lui, maintenant, parait faux, emprunté. Un être vivant ne se laisse pas enfermer en quelques phrases.
Ceux qui l’approchaient, même s’ils n’avaient pas lu ses livres, même s’il étaient très loin, par goût ou par nécessité, de l’univers des livres, comprenaient parfaitement qui était Camus, et se trouvaient réconfortés et enrichis par son contact.
Ceux qui lisaient sans avoir le priviliège de connaître l’homme se prenaient à l’aimer comme quelqu’un de très proche.
Beaucoup d’écrivains méritent l’admiration. Mais combien y en a-t-il que l’on aime ? Camus avait su gagner les coeurs sans céder jamais à la moindre complaisance, parce qu’il avait consacré toute sa pensée, toute son oeuvre, à chercher pour nous tous, des raisons de vivre.
Roger Grenier