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Lecture

« Le Coude grinçant de l’anarchie » Hawad

Le jeudi 17 septembre 1998.

L’insoumission à l’autorité est un « coude rebelle », un « coude grinçant », qui tourne, change d’orientation, l’expression est utilisée par les amateurs médiévaux de langues arabe, comme l’explique Hélène Claudot-Hawad, cotraductrice (avec Hawad) de l’ouvrage et auteur de l’introduction : « Le foisonnement des formes que revêt le coude grinçant le dote d’un caractère insaisissable, inattendu et inventif. Ses crissements rêches surgissent à l’endroit où se resserrent les horizons, où s’étranglent les voix plurielles, où s’installe le règne de la pensée unique et du totalitarisme omnipotent. » Pour échapper à l’asphyxie du poète, qui fait éclater les mots, les projette sur les murs du silence complice, les malaxe et les rassemblent dans une spirale où la révolte des pauvres et le désir d’être, la liberté de dire et d’accuser sont omniprésents. Vigueur et beauté, souffle continu, parfois haletant, confidences, pensées emportées par un désir d’espace, arabesques rocailleuses, repos de l’attente, et larmes : humour sarcastique, pamphlétaire, chanson de geste rappelant troubadours, poètes et conteurs nomades d’Orient, Hawad représente tout cela et parle une langue universelle tout en plongeant dans les profondeurs de sa culture tamajaght (touareg).

À partir de l’extinction pensée et voulue des Touaregs, parqué dans des camps, sédentarisés de force, employés à figurer sur les dépliants touristiques, hommes bleus figés sur le dos du dromadaire, image immortalisée et mortelle d’une réalité transfigurée. Il fait entendre non seulement la voix des autres peuples nomades et des colonisés dans leurs propres pays, tels les Indiens du Chiapas, les Kurdes… mais aussi celle des victimes occidentales du capitalisme. Ses images portent la révolte amère et accusatrice des peuples condamnés à se fondre, à disparaître, tant est agressive la puissance génocidaire des conquérants modernes, maîtres du monde.

Hawad est touareg, fils d’un peuple jadis libre et sans frontières, connaisseur des astres, des déserts et porteur de la sagesse de celui qui passe et n’est propriétaire d’aucune terre portant sa marche. C’est pourquoi il peut établir des passerelles entre les déshérites de la planète :

[…] O camarades, compagnons/chômeurs d’Amérique et d’Europe ! Nous voici en renfort/Au sud de la souffrance/nous allons leur faire régurgiter Marrakech par le gosier.

[…] Voici la nouvelle solidarité/solidarité entre les coudes des mondes qui refusent de baliser et d’encadrer le champ de leur bourreau.

Ne quémandez pas votre pain. […]

Dans la vie, Hawad reste l’homme de ses livres. Il dit ses poèmes en tamajaght, et ne résonne plus alors que l’écho de sa voix à la fois âpre et vibrante. Une langue qui ondule et tournoie dans un flot de lucidités étranges. La traduction restitue le rythme en spirales dans lesquelles le lecteur s’engouffre, happé, harangué par l’histoire pour retomber dans une réalité brutalement crue avec son cortège de fureurs.

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Éditions Paris-Méditerranée, 75 FF.