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Un « Homme moyen », Pierre Autin-Grenier

Le jeudi 8 mai 2003.

« Nous sommes à nouveau, dans ce livre peu fabuleux, devant une excroissance du nihilisme contemporain, une supplémentaire faillite littéraire causée par le peu d’intérêt que l’écrivain d’aujourd’hui porte à la réalité. » C’est ainsi qu’un critique du Figaro (« premier quotidien national français ») rendait gorge et compte de Toute une vie bien ratée [1] de Pierre Autin-Grenier. Bref ! « des mots pour rien » signés Christian Charrière, poète du pas gagné, méconnu et peu ordinaire, pour qui « le monde n’est qu’un tremplin pour nos rêves, pour nos idéaux esthétiques ».

Nul doute que notre poète et critique ne fera jamais la rencontre d’un ange en chair et en os dans son jardin (Je ne suis pas un héros [2]), mais comment ne s’est-il pas rendu compte qu’aux yeux de Pierre Autin-Grenier ce monde est beaucoup plus formidable que Christian Charrière lui-même, très quelconque en la matière. Sachant, bien entendu, que ce formidable est censé nous faire peur (de formidare, craindre). D’où, sans doute, le succès, inattendu mais justifié, de ce mot à travers les médias, qui ne savent pas si bien dire.

Donc Pierre Autin-Grenier n’est pas formidable. C’est un écrivain (et pas un « écrivant », journaliste par exemple) qui cherche moins à convaincre qu’à séduire à sa façon… Et d’un écrivain, il conviendrait d’abord de parler de son écriture, de sa façon justement (écriture même du « rien », même du désastre, écrivait Maurice Blanchot), une écriture qu’il se coltine depuis près de trente ans, écriture que j’ai découverte, d’abord en revue, ensuite à la parution de Jours anciens [3], qui laisse toujours belle « trace, quelque part, d’un temps aujourd’hui effacé et qui fut peut-être celui de l’enfance, des tramways, de l’insouciance, du quinquina dans les cafés ».

C’était, déjà, écrit « comme une nature morte de Chardin », une nostalgie tendre, un monde effacé, un lieu où « les maisons sont attachées, loin de la mer, à de robustes chemins de cailloux bordés d’aubépines ». Un monde révolu où « la balafre de l’enfance souvent cicatrise mal ».

Un rire de connivence

De ces jours anciens, les années ont pris la distance de quelques beaux livres. Depuis Les Radis bleus [4] jusqu’à ces récits de L’Éternité est inutile [5].

Eh bien, croyez-moi, lecture achevée du dernier livre de Pierre Autin-Grenier, on se dit qu’un petit coup de blanc, ça vaut largement certaine gorgée de bière, surtout si ça énerve certains cuistres ! Style plus abrupt, phrase souvent télescopée, pimentée d’apostrophes de l’auteur, de ruminations exacerbées, de rogne contenue ou d’éclats de colère viscérale face aux agressions quotidiennes de la radio ou des importuns de passage sur le chemin du Rocan, à Carpentras. À travers eux, l’empathie nous gagne, tant les chemins du Rocan nous sont familiers.

Qui n’a connu « ces hordes errantes de sectaires qui divaguent çà et là à travers nos sillons à la traque du mécréant » ? Pour les dénoncer, l’écriture prend alors les armes de l’humour. Un humour conjuratoire ravageur et irrésistible. Et communicatif. Qui déclenche le rire de connivence, le rire salvateur qui nous libère de la connerie ordinaire (j’ai souvenir d’un même rire à la lecture d’Extension du domaine de la lutte de M. Houellebecq).

C’est qu’on aura beau répéter à ces emmerdeurs illuminés que pour nous l’éternité est inutile — je reprends le titre à mon compte — on se dépêtre mal des bornés de nature. Peut-être en rêvant « d’un petit bout de chemin en compagnie d’Ascaso et de Durruti » et d’action directe, alors que « je reste planté au beau milieu de la banque, l’air un peu triste avec mon pistolet tirant à blanc dans ma tête ».

Qu’on n’aille pas en conclure à l’anarchiste d’opérette. Quand l’alerte se fait sentir, Pierre Autin-Grenier descend dans la rue et manifeste. Il connaît de près la pauvreté, l’injustice et l’arrogance des maîtres, et sa révolte est intacte. Le dérisoire qui l’assaille ne l’empêche nullement de lutter pour l’essentiel. Et même s’il rêve d’en être resté à l’ère secondaire sous forme de coccinelle, il ne peut que constater sa condition d’homme. « Je suis un homme moyen », disait Albert Camus. Pierre Autin-Grenier est de sa descendance : un homme et un écrivain libres, d’ici et maintenant. L’éternité est inutile.

Hors propos, mais non sans émotion, j’ajouterai que ce livre est dédié à un ami et éditeur communs : Jean Le Mauve nous a quittés le 3 juin 2001. L’éternité est inutile.

Claude Kottelanne


Les livres Gallimard-L’Arpenteur sont sortis dans la collection Folio (sauf ce dernier). Ils sont disponibles à la librairie Publico.


[1Éd. Gallimard-L’Arpenteur.

[2Éd. Gallimard-L’Arpenteur.

[3Éd. L’Arbre-Jean Le Mauve, 7, route d’Hameret, 02370 Aizy-Jouy (réédition augmentée).

[4Éd. Le Dé bleu, 85310 Chaillé-sous-les-Ormeaux.

[5Éd. Gallimard-L’Arpenteur.