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Assises nationales pour les droits des femmes

Collectif unitaire… et ta sœur ?

Le jeudi 20 mars 1997.

En tant que féministes, nous luttons au quotidien pour l’abolition du patriarcat. En tant qu’anarchistes, nous savons que notre lutte pour la liberté ne passe pas par la prise de pouvoir (que celle-ci se concrétise par une démarche électoraliste ou par une avidité de représentation sociale tous azimuts, ces deux formes aboutissant à une hiérarchisation des individus). Il est bien acquis par le féminisme que notre lutte ne se résume pas à des revendications anti-sexistes qui peuvent parfaitement trouver leur place dans la société patriarcale que nous subissons (ces revendications pouvant d’ailleurs être reprises par les hommes) mais qu’elle vise à redonner aux femmes une parole propre qui leur a toujours été niée. De la même façon, parce que nous sommes aussi anarchistes, si nous pouvons lutter de façon ponctuelle avec divers syndicats, associations et partis, pour autre chose que l’abolition immédiate de l’État ; nous ne pouvons jamais nous fondre dans un collectif niant par sa nature (composition et/ou fonctionnement) l’oppression étatique.

Autant nous reconnaissons l’oppression spécifique exercée sur toute les femmes (qu’elles soient ministres RPR ou militantes de la Fédération anarchiste), autant la réponse politique et sociale que chacune apportera sera différente. Il apparaît donc clairement que si nous pouvons être d’accord sur de perpétuels états des lieux de l’oppression des femmes (Assises nationales ou autres grandes messes) toute dynamique unitaire de réponse à cette oppression est vouée à l’échec car elle supposerait qu’on nomme nos différences politiques. Suffit-il de subir la même oppression pour être sœurs ? N’est-ce pas plutôt les réponses choisies qui font notre féminisme ? S’il est facile de constater l’oppression spécifique subie par les femmes algériennes, il est peu dire que de nombreuses femmes de la sphère politique décisionnelle n’ont pas montré le moindre signe de solidarité féministe et ce, pas seulement depuis 1993…

Ce sont plus nos choix de riposte qui font notre identité que notre oppression, partant de là, on a plus de chances de trouver notre sœur du côté des sans-papiers fuyant un mariage forcé par exemple, que le jour des Assises nationales.

Je cause, tu causes, elles profitent

À défaut de ripostes unitaires possibles, ces Assises peuvent-elles faire coexister (démocratiquement…) différentes analyses ? Seraient-elles enfin THE occasion de faire entendre une parole anarcho-féministe ? L’expérience des états généraux de 1992 nous fait douter : pourquoi n’avons-nous pas pu parler d’avortement et de contraception libres et gratuits sans déclencher les foudres de la tribune ? Comme la parité aujourd’hui, s’agissait-il d’un " faux problème ", d’une simple chicanerie sémantique entre l’école linguistico-radicale et l’école linguistico-réformiste ? Toujours est-il qu’une école a bouffé l’autre, on vous laisse deviner laquelle…

Fortes de cet exemple, serait-il possible d’imaginer que les enjeux de pouvoir puissent être à l’œuvre à l’intérieur même du collectif et qu’une censure (ou autocensure ?) pollue cette prétendue libre parole ? Ne doutons pas de la cohérence politique des militantes institutionnelles, elles ne scieront pas la branche sur laquelle elles sont assises (nationales !). Comment pourraient-elles laisser s’exprimer une parole anarchiste qui questionne le pouvoir et les fragilisent de fait dans leur fonctionnement hiérarchique et centraliste ?

Chassez le naturel…

On aurait pu alors, nous dira-t-on, aller à ces Assises en étant conscientes des ces enjeux de pouvoir mais espérer avoir un bon rapport de force, évalué au prorata de l’énergie investie. Si tel était le cas (vu le nombre de collectifs où les anarchistes ont joué les petites mains), il y a longtemps que le PS serait un sous-groupuscule passé aux oubliettes de l’histoire ouvrière et la parole anarchiste omniprésente. On croit ouvrir une brèche et on se noie…

Précisément parce que notre anarcho-féminisme se veut ancré dans la réalité sociale et politique on ne peut considérer les Assises comme une bulle féministe totalement détachée du monde extérieur. Comme on peut le voir sur les terrains de l’antinucléaire, de l’immigration etc., le PS et ses satellites retrouvent une frénésie militante à l’approche des élections de 1998, pourquoi les Assises échapperaient-elles à cette récupération ? Si les partis ont un bénéfice politique évident à briller par leur signature lorsque les médias rendront compte de ces Assises, partager ces paillettes avec les institutions ne peut être d’aucun bénéfice politique pour l’avancée concrète des idées anarcho-féministes.

Nourries, entre autres, du travail de terrain des culs-terreuses provinciales ces Assises permettent à l’intelligentsia parisienne de remplir ses cahiers dedoléances sur l’état pitoyable des droits des femmes. Cahiers qu’elles rendront une fois la messe dite, avec lesquels nous pourrons retourner dans nos villes nous affronter avec les institutions sur la défense concrète des femmes précaires avec ou sans-papiers. Il ne s’agit donc pas de nier l’intérêt de reparler encore et toujours des violences faites aux femmes mais de questionner le cadre institutionnel dans lequel ce travail s’effectue, cadre qui empêche toute dynamique ultérieure en posant ces commissions hors de leur réalité.

Car enfin, à qui s’adressent ces Assises ? Pense-t-on que les femmes précaires se déplaceront sur Paris pour découvrir de la bouche des féministes officielles la réalité de leur oppression ? Notre pratique militante qui consiste à lutter ensemble au quotidien contre note oppression ? Notre pratique militante qui consiste à lutter ensemble au quotidien contre notre oppression commune n’est-elle pas plus efficace pour une réelle prise de conscience et surtout pour enclencher une vraie dynamique ?

T’as pas vu ma sœur ?

En refusant d’être signataire de ces Assises nationales la Fédération anarchiste s’est clairement désolidarisée d’une initiative qui privilégie le possible impact médiatique aux lutte de terrain. Nous renonçons à tisser des liens éphémères avec les femmes qui retrouveront demain leur cher strapontin dans les sphères du pouvoir. L’émancipation des femmes sera l’œuvre des femmes en lutte contre toute oppression (capitaliste, étatique ou patriarcale), elle se construira en nommant nos différences ou ne se construira pas. En tant qu’anarcho-féministes, nous préférons mettre en actes la solidarité et, dans des pratiques communes, reconnaître nos sœurs.

Jeanne et Muriel — commission femmes