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Moulins-Yzeure, la prison du non-espoir

Le jeudi 27 mars 1997.

Invité par les prisonniers de la Maison Centrale de Moulins-Yzeure, Jacques Lesage de La Haye répond aux questions de Ras-Les-Murs (Radio libertaire). Voici la fin de l’entretien dont la première partie a paru la semaine dernière.



R-L-M : T’ont-ils parlé d’une plate-forme de revendications globale ou spécifique à Moulins- Yzeure ?

Jacques : Ils se considèrent très isolés. Ils sont dans une impasse. C’est un cul de basse fosse et, pour eux, il est clair que la revendication immédiate, le minimum d’oxygène, la survie, c’est davantage de remises de peine, en particulier, les remises de peine supplémentaires.

Vouloir leur couper cela, c’est couper l’oxygène, provoquer l’agonie ou l’explosion. Sans doute est-ce un petit peu spécifique, puisqu’à Moulins-Yzeure, c’est plus dur et que l’on risque de faire des peines plus longues que partout ailleurs.

Ils regrettent tous qu’il n’y ait pas assez de plate-forme de revendications globale pour la transformation de la situation carcérale nationale. Mais ils précisent aussi que chaque prison a ses spécificités et qu’eux, en tout cas, sont tellement acculés à la survie qu’ils ne peuvent pas faire autrement que de revendiquer cela en priorité.

Les autres revendications peuvent venir après, mais ils ont l’air d’être bien dans la dérision par rapport à ça et aussi dans le fait qu’ils ne croient pas tellement à toutes ces revendications trop globalistes. Selon eux, c’est une revendication précise et une graduation des moyens de lutte. On commence doucement et on monte progressivement jusqu’à l’obtention d’une réponse.

Et, dans ce sens-là, ils ont l’impression que les plates-formes de revendication globale sont des plates-formes qui, finissent par noyer le poisson et n’obtiennent aucun résultat, parce qu’elles sont trop vagues. Il leur paraît donc qu’il vaut mieux une revendication spécifique, qui par des moyens de plus en plus précis et ciblés, peut obtenir un résultat.

R-L-M : Ont-ils des contacts avec d’autres détenus pour éventuellement former des groupes de lutte à travers la France ?

Jacques : Cela ne semble pas se faire, sauf pour quelques uns individuellement, mais, ce qui est assez étonnant, c’est qu’ils ont beaucoup insisté sur le fait qu’il n’y avait pas de censure. Il y en un qui reçoit Drapeau Noir !!!

Ils ont vraiment la possibilité de correspondre avec beaucoup de monde. Mais, malgré tout, j’ai eu l’impression qu’ils sont complètement isolés, non seulement par la situation locale et géographique de Moulins-Yzeure, mais aussi par le fait qu’ils sont dans une impasse.

D’après ce qu’ils disent, la censure est pratiquement inexistante. Cela est sans doute dû au fait que la prison est tellement dissuasive et bien faite pour empêcher toute évasion que l’administration peut se permettre de ne pas censurer. C’est une soupape de sécurité, mais c’est, en fait, plus que cela.

Ca peut leur donner des possibilités de contacts avec l’extérieur ou, éventuellement, pourquoi pas, avec d’autres prisonniers, s’ils veulent poursuivre le débat. Mais ils n’ont pas l’air jusqu’à ce jour d’être vraiment inscrits dans ce débat dont nous sommes le carrefour, puisque ils ont été étonnés de voir qu’il existait. Ils ont demandé quelle en était la teneur.

Ils sont à l’isolement de deux façons, une fois, d’abord parce que la centrale de Moulins-Yzeure est un véritable quartier d’isolement et, ensuite, parce que, géographiquement c’est quand même un lieu complètement isolé du reste des établissements pénitentiaires.

R-L-M : Que pensent-ils du mouvement des sans papier et de cette importante mobilisation ?

Jacques : Il se sentent concernés, ils sont intéressés, car ils sont attentifs à tout. Ils sont vraiment politisés. Et on a le sentiment qu’ils sont en permanence attentifs à toutes les luttes sociales. Mais, s’ils en sont solidaires, on a l’impression que, quelque part, cela les désespère encore plus. Parce qu’ils disent, aujourd’hui, avec cette crise avec le chômage, on arrive à une situation telle que des quantités de gens sont au bord de la clochardisation, sont même franchement et carrément clochards.

Pour beaucoup ils sont SDF, c’est la survie, certains mangent des pierres et par conséquent, comment, face à de telles urgences, l’urgence carcérale peut-elle être reçue ? Ils ont donc conscience de tout ça. Ils sont contents que cela bouge, mais ils se disent bien que c’est tellement grave et urgent qu’ils risquent fort de passer au second plan.

Ils sont conscients aussi que la plupart de ces jeunes SDF ou clochards se retrouvent en prison pour des raisons de défonce, mais aussi de problèmes psychologiques que la psychiatrie ne prend plus en charge.

R-L-M : Font-ils la critique de la télévision, comme certains détenus en région parisienne, ou sont-ils accros ?

Jacques : Ils sont plutôt accros. Ils la regardent énormément. Cela fait partie de leurs outils d’information et également d’évasion. C’est vrai que l’écriture, la musique, la lecture, la télé sont regardés par eux comme des moyens de fuite. Ils le disent très clairement. Donc, ils sont hyper-informés. Ils se distraient au maximum. Mais, pour beaucoup, ils essaient d’accumuler des moyens de dérivation par rapport à leur souffrance, que ce soit par le sport, la télé, la lecture, l’écriture, des activités de toutes sortes, voire le travail, mais ils le font avec beaucoup de sarcasme et d’amertume.

R-L-M : Pour les problèmes de santé, comment cela-se passe-t-il ?

Jacques : En fait, c’est un peu comme partout ailleurs. Il y a une insuffisance particulière, au niveau médical. Ils ont eu le sentiment d’être assez méprisés par le médecin. Il y a donc eu un problème avec lui, qui était vraiment le complice d’une administration répressive.

Il les prenait de très haut. C’en était une caricature du médecin pénitentiaire. Celui-là heureusement est parti. Mais ils ont le même problème, au niveau des soins dentaire. Ils sont enragés par rapport à ce dentiste qui ne prend aucune mesure d’hygiène. C’est un gars séropositif qui en a fait la remarque, considérant que c’était quand même insensé que l’administration tolère un dentiste qui pratique des soins au rabais.

J’ai noté aussi qu’ils étaient assez surpris qu’une psychologue, qui fait partie d’une association qui se lance, pour la prise en charge de la réinsertion à Moulins-Yzeure, ne soit pas présente dans ces débats. Pour eux, de telles personnes en réalité, ne fonctionnent pas pour les détenus, mais à la solde de la pénitentiaire. Dans l’ensemble, ils ne sont pas très satisfaits de la prise en charge médicale et psychologique.

R-L-M : Quels sentiments as-tu éprouvés, en entrant à Moulins-Yzeure ?

Jacques : Cela a été un choc violent. J’ai vu des hommes qui sont d’autres moi-même, c’est-à-dire, en quelque sorte, des frères en train de se détruire lentement, même s’ils se battent comme des enragés et ont montré une pulsion de vie et un instinct de survie merveilleux. J’ai eu quelques moments très forts avec plusieurs d’entre eux, comme Gaby Mouesca ou Etchevarria.

Ils m’ont justement posé la question : « Qu’est-ce que cela te fait ? ». Je leur ai dit : « Je suis entièrement solidaire de vous. Si je suis là aujourd’hui et si je suis en lutte, c’est parce que j’ai fait un parcours carcéral comme vous. C’est assez dur pour moi de me retrouver ici, mais je resterai présent à vos côtés.

C’est vrai que de vous voir, en même temps, cela me fait du bien et me donne du courage, car je suis heureux de voir que, dans un établissement comme celui-là, il y a des types qui pensent autant, qui débattent autant, qui réfléchissent, qui arrivent, comme dit Farid : "à des positions consensuelles".

C’est dur à encaisser, parce que, quelque part, c’est un bref séjour en prison qui fait suite aux autres. Mais, aussi, c’est réconfortant, car je retrouve l’espoir dans la solidarité, la prise de conscience politique, la réflexion sur les luttes, l’engagement à l’intérieur pour vous et à l’extérieur pour nous. La coordination est possible et pourrait faire changer les choses »

Je pense que ce qu’ils attendent, en particulier, c’est que Jacques Toubon entende bien qu’ils avaient prévu une revendication plus dure et que c’est la position des modérés qui a été retenue. Il apparaît que l’attitude provocatrice de Toubon a été, en quelque sorte, une sanction pour ceux qui avaient la position du dialogue et que, par conséquent, il y a un risque qu’ils prennent des moyens de revendications plus dures. L’attitude complètement méprisante de Toubon pourrait les emmener dans une escalade dans les revendications et les moyens de lutte.

R-L-M : Vont-ils faire un courrier à Jacques Toubon pour exprimer leur mécontentement ?

Jacques : Pour l’instant, ils en sont au débat, car ils avaient deux positions. L’une a prévalue. Ils vont être bien obligés de monter la pression et d’arriver à quelque chose de plus radical. Ils considèrent inadmissible qu’en plus d’avoir une prison plus dure, ils doivent effectuer des peines plus longues. Ils ont bien dit : "On ne demande rien de plus, rien de moins que les autres, le même régime. Par conséquent, ce que l’on demande, c’est qu’un effort soit fait par rapport aux RPS. Sinon… "

En conclusion

Je trouve inimaginable que, dans une démocratie comme la nôtre, on ose mettre en place de tels systèmes d’élimination pour des hommes qui ont commis des infractions à la loi. Je ne pense pas que concentrer des individus comme cela et les mettre dans une telle charge de désespoir soit intelligent, ni dans l’interêt des individus, ni dans celui de la société.

Je ne crois pas non plus que les projets du gouvernement, à savoir, de petites centrales sécuritaires, avec 80 détenus, soient une réponse à la question posée.

J’ai le sentiment que ce qui pourrait faire avancer les choses, c’est qu’une société humaine offre à des personnes qui ont commis des infractions, quelles qu’elles soient, un mode de vie humain se rapprochant le plus possible, autant que la sécurité le permet, du mode de vie de la liberté, plutôt qu’un système de destruction, de carotte et de bâton. Un système de menaces, de chantages et de punitions. Il est grand temps de mettre fin à ces systèmes sécuritaires qui ne rassurent que les imbéciles, détruisent les prisonniers, rendent certains d’entre eux encore plus dangereux à leur sortie et, par conséquent, sont des systèmes dangereux pour la société elle-même.

Émission « Ras les Murs » (Radio libertaire)