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Albanie

Quand le « Fils de l’aigle » se retourne

Le jeudi 27 mars 1997.

À un moment où l’histoire bégaye dans les Balkans, il est intéressant d’examiner, même très rapidement, comment se forma l’État albanais au début du XXe siècle.

Elisée Reclus, en 1875, comptait 1 400 000 Albanais : 600 000 Guegues au Nord, aux deux tiers musulmans, catholiques romains pour l’autre tiers ; 800 000 Tosques au Sud, musulmans pour les trois quarts, orthodoxes pour le reste. Depuis la conquête ottomane au XVe siècle le grand problème des colonisateurs turcs avait toujours été l’administration de régions mal équipées en voies de communication, où les habitants accueillaient volontiers les représentants du sultan à coups d’arquebuses, nerveusement entretenues pour la traditionnelle vendetta. Dans la phase du dépeçage de l’Empire ottoman qui précéda la Première Guerre mondiale, les tribus montagnardes du Kosovo prirent les armes en avril 1912. Le mouvement s’étendit rapidement durant l’été, tandis que les intellectuels nationalistes plaidaient la cause indépendantiste auprès des grandes puissances. Une assemblée nationale multi-confessionnelle proclama l’indépendance en novembre, mais les chancelleries occidentales firent la sourde oreille, la majeure partie du territoire étant occupée par des armées étrangères, suite aux opérations de la première guerre balkanique contreles Turcs. Mais une fois le partage effectué, il fallut enfin régler cette « question albanaise ». L’Autriche-Hongrie et l’Italie étaient favorables à un protectorat sous leur influence, tandis que la France et la Russie — soutien des Serbes — voyaient justement là une pure opération autrichienne. Les « experts internationaux » décidèrent à Londres, en juillet 1913, la formation d’une Principauté héréditaire, à la « neutralité » garantie par les puissances. Après des grignotages de territoires, dus aux Serbes, aux Monténégrins et aux Grecs, les frontières furent tracées. Restèrent seulement la moitié des Albanais dans le nouvel État. Selon la tradition du XIXe siècle, « on fit appel » à un prince allemand d’une vieille maison de Rhénanie « ruinée » par les guerres napoléoniennes. C’est donc sur un navire austro-hongrois qu’en mars 1914 Wilhem von Wied débarqua en Albanie, escorté d’unités françaises, italiennes et anglaises. Ignorant les réalités du pays, il s’entoura de grands féodaux, d’anciens fonctionnaires de la bureaucratie ottomane et d’« experts internationaux ». Mais le premier ministre lui-même, orthodoxe, provoqua le mouvement sécessionniste de l’« Épire du Nord », tandis que les musulmans de la région centrale se soulevaient aussi. Dans le sud, des bandes terrorisaient la population et provoquaient l’exode de villages entiers…

Lorsque le premier conflit mondial éclata, le roi proclama la neutralité et les « experts » quittèrent le pays. L’Autriche-Hongrie cessa alors de financer le budget de l’État. Dépourvu de crédit, le petit prince allemand se dessina un navire et rembarqua, le 3 septembre 1914. Il avait régné six mois. Lorsque le « Fils de l’aigle » se retourne, que voit-il ? Un navire sur le départ…

Franck Thiriot