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Stages de motivation : l’esprit de soumission

Le jeudi 3 avril 1997.

« La domination spectaculaire a fait abattre l’arbre gigantesque de la connaissance scientifique à seule fin de s’y faire tailler une matraque. »
Guy Debord dans Commentaires sur la société du spectacle.

Quand le patron devient confident et directeur de conscience…

« Esprit de service » est une formation proposée et souvent imposée dans la boîte d’informatique pour laquelle je travaille. Ce stage fait passer des idées pro-entreprise qui feraient ricaner ou scandaliseraient tout le monde si elles étaient exprimées normalement. Alors des méthodes sophistiquées de psychologie comportementale sont utilisées, mêlant extractions de confidences, rabâchage, intimidations, agressions verbales, fausse sympathie, ceci pendant 3 jours. Il s’agit d’un bourrage de crâne idéologique, et cette idéologie, par le plus grand des hasards sert en tout point les intérêts de l’entreprise. Nous sommes vraiment dans le meilleur des mondes…



Sous prétexte de nous « apprendre » la communication, le formateur du stage « Esprit de service » n’arrête pas de nous rabâcher son idéologie politique. Et malheur à qui critique cette idéologie. Il est capable d’être odieux, et il le fait bien sentir, créant ainsi un climat de terreur inavoué.

Son idéologie politique c’est quoi ? En gros c’est que nous sommes entrés dans l’ère du service, il n’y a plus de patrons, il n’y a que des clients, il n’y a plus d’autorité, bref tout baigne. Le problème c’est qu’il ne s’agit pas d’annihiler l’autorité, il s’agit pour lui de donner l’illusion qu’elle n’existe pas.

D’après lui chacun est une petite entreprise. Cela isole chacun, on pourrait presque dire que chacun est encapsulé. Si le modèle de la communication c’est la relation client-fournisseur, cela prostitue tous les rapports humains.

Toute idée de révolte est pour lui un sentiment négatif qui mérite la porte.

Le client est roi, et le client c’est le patron, vous voyez où on en est.

Bref ce stage a pour but d’éloigner les salariés de la réalité, de discréditer les syndicats combatifs. Ce formateur est une sorte de grand-prêtre de la paix sociale. Et quand on voit les moyens de violences psychologiques mis en œuvre pour maintenir cette paix, c’est qu’elle doit être bien fragile.

Et je ne vous parle pas du discours nationaliste, il combat l’anti-France, constitué bien sûr par les syndicats (qui « ont 15 ans de retard et qui font beaucoup de mal à la France »).

Sa définition de la responsabilité est absolument scandaleuse. Pour lui un mec qui se fait virer c’est qu’il l’a voulu. Pour lui les chômeurs sont chômeurs car ils le veulent bien.

Son idéologie est une idéologie de la soumission, de la culpabilisation. Elle peut tout justifier en laissant l’oppresseur complètement blanchi.

Pour lui l’esprit critique est un sentiment négatif qu’il faut combattre, c’est grave…

J’en oublie sûrement, en tout cas c’est scandaleux qu’un tel stage puisse exister. Et c’est encore plus scandaleux qu’il fasse partie des formations prétendument obligatoires.

Ceux qui ont fait le stage en ressortent « ravis ». Et au début, à toute critique ils répondent : « C’est vrai qu’il est un peu provocateur ». C’est la seule défense et exactement la même pour tous. Comme s’il était normal de se faire agresser dans le cadre du travail, sur ses opinions personnelles, par quelqu’un ayant une situation d’autorité.

Texte d’un tract CGT légèrement modifié

Yves Mocquard — groupe La Commune (Rennes)