C’était le 25 novembre 1995, Juppé présentait aux parlementaires sa « réforme de la sécurité sociale »… Sur la forme, les députés fixeront pour cinq ans les objectifs de la politique de santé ; ils arrêteront le montant autorisé des dépenses… Finie la cogestion syndicats/patronat de la sécu. La première loi de finances était votée en décembre 1996. Pour ficeler le tout, le gouvernement ayant ainsi la maîtrise du financement de la santé, il déléguera à des « agences régionales » et à leurs directeurs (qui auront tout pouvoir) le soin de répartir les fonds pour l’hospitalisation publique et privée !
Sur le fond, la logique est redoutable : sous le prétexte d’une « audacieuse modernisation » (dixit Juppé) du système des soins, la réforme hospitalière du premier ministre n’a qu’un seul but : réduire les dépenses de l’hôpital public (suppression de 60 000 lits et disparition programmée de 150 000 emplois) et faire la part belle à l’hospitalisation privée à but lucratif !
Aujourd’hui, que reste-t-il du plan Juppé ? Le programme de rationalisation de l’assurance maladie « n’a pas pris une ride [1] » : installation des directions des Agences régionales ayant en charge l’hospitalisation publique et privée — les DAR —, système de sanctions financières pour les médecins en cas de dérapage (ce qui donne des bobos… aux internes qui se sont réveillés en grève début mars), informatisation des cabinets médicaux, instauration du carnet de santé… Budgets des hôpitaux publics revus à la baisse… Normal donc que ça rende malade…
Une maladie diagnostiquée en novembre 1995, qui se déclare au printemps 1997. Rien d’étrange en cela puisqu’il a fallu tenir compte de symptômes chroniques : un gouvernement libéral, des syndicats bureaucratisés (avec la CFDT en porte-drapeau de Juppé — qui se retrouve à la direction de la Caisse nationale de l’assurance maladie) et des médecins qui ne sont sortis de leur réserve qu’après un long temps de gestation !
Pendant les grèves le plan Juppé continue
Est-ce pour autant la fin du plan Juppé ? Rien n’est moins sûr. En janvier 1997, la fièvre gréviste gagne quelques établissements de province (Strasbourg, Alès, Caen). En région parisienne, l’Institut Gustave-Roussy à Villejuif s’inquiète de la diminution sans précédent de son budget. Il est relayé par deux établissements psychiatriques, Perray-Vaucluse à Étampes et Maison Blanche à Neuilly-sur-Marne, dont la fermeture est programmée d’ici 2001. Mais on est loin de l’embrasement général ! Il est vrai que Juppé et Barrot ont prévu de faire passer la pilule avec beaucoup de savoir-faire : les diminutions de budget varient d’une région à l’autre, d’un établissement à l’autre. Il est aussi proposé de fusionner les petits hôpitaux locaux. Et Barrot s’arrange pour ne pas trop égratigner les établissements sanitaires. Pour l’Assistance publique de Paris, les hospices civils de Lyon et de Marseille. La purge n’est pas aussi radicale que pour Maison Blanche !
Du côté des usagers, malgré le forfait hospitalier à 70 FF, le nouvel impôt (le RDS — " remboursement de la dette sociale ") et autres mesures fort sympathiques pour le porte-monnaie… le mécontentement n’a pas atteint des sommets de décembre 1995. Le discours dominant sur le " trou de la sécu " fait des ravages. Les hospitaliers ont beau rappeler que ce " trou " n’est rien comparé à celui du budget de l’État (le budget de la sécu c’est 1800 milliards ; son déficit en 1994 est estimé à 62 milliards, c’est-à-dire 5,6 % des dépenses soit à peine cinq jours de fonctionnement de la sécu sur un an, à comparer au déficit de l’État qui s’élève la même année à 368 milliards !), rien n’y fait ! La propagande libérale est encore trop forte, les mensonges capitalistes entendus comme des vérités.
Le non-paiement des cotisations patronales à la sécu représentait 50 milliards ces deux dernières années. Entre 1992 et 1994, le montant des exonérations accordées aux patrons par l’État s’élevait à 62 milliards de francs… Enfin, le coût du chômage et de la précarité représente pour la sécu 150 milliards chaque année… Ça, Juppé ne le clame pas sur les toits de Matignon ! Il préfère évoquer " les déficits publics " et les critères de " convergence de Maastricht ".
Les hospitaliers arrivent-ils à faire céder Juppé ? Certainement pas seuls ! L’enjeu est bien connu ; il est celui des services publics (SNCF, PTT, Éducation nationale…), et de leur place dans une économie mondiale. Autant dire aucune ! Place aux riches, à l’hôpital entreprise, aux usagers devenus clients ! Les autres s’inscriront au SAMU social, s’affranchiront au tarif minimum, prendrons le dernier train et resterons sagement assis au fond de la classe du professeur Chirac… La belle vie pour les riches… en bonne santé !
Alain Dervin — groupe Pierre Besnard (Paris)