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De l’anarchosyndicalisme en général et de la CNT en particulier

Le jeudi 15 mai 1997.

Pour bien des raisons spécifiques à ce pays, l’Espagne fut, de la première internationale jusqu’en 1936, une terre fertile pour l’anarchisme. Dans cette période, la pensée anarchiste pénétra sans interruption les villes et les campagnes. Il n’est donc pas étonnant que la CNT d’Espagne (explicitement anarchosyndicaliste) fut l’organisation ouvrière la plus importante du pays en 1936 (3 millions d’adhérents [1]).

En France, l’histoire est bien différente. Je vous fais grâce de l’historique du syndicalisme français, de celui de la CGT jusqu’à FO et ne m’étalerai pas sur l’influence des marxistes dans le mouvement ouvrier de notre pays.

Et la CNT ? Elle était dans les bagages d’exil de nos compagnons d’Espagne. À sa création, elle réactive le vieux débat entre anarchosyndicalistes français : faut-il être dans les syndicats existants ou créer une nouvelle organisation anarchosyndicaliste ? D’un côté, une expérience nouvelle aux chances de succès hypothétiques ; de l’autre la référence historique (CGT ou FO) et/ou le souci de l’unité des travailleurs.

Aujourd’hui, les syndicats « historiques » ou « traditionnels » sont de plus en plus désavoués, dépassés par leurs bases dans les conflits ; des coordinations diverses et multiples naissent, combatives et inventives souvent mais toujours menacés par le corporatisme ; de nouveaux syndicats plus radicaux voient le jour (SUD etc.) et, dans ce contexte de recomposition du paysage syndical, la CNT monte et ressemble de plus en plus à une organisation syndicale et de moins en moins à une organisation spécifique.

Si les luttes et les formes d’organisation que se donnent les prolétaires se radicalisent cousinant parfois avec nos principes, c’est tant mieux. Ce ne sont pas les anarchistes qui vont s’en plaindre. Je pense pour ma part qu’une organisation syndicale se référant explicitement au communisme libertaire devienne une force réelle dans ce pays. Le vieux débat reste donc d’actualité.

Pourtant, le syndicalisme « historique » ou « traditionnel » connaît une grave crise et le syndicalisme (le « vrai ») cherche à renaître, c’est comme si l’Internationale était à réinventer.

Il me semble que la CNT dite Vignoles a saisi tout cela d’où une stratégie d’ouverture que certains nommeront « concessions », « entorses graves », pis encore : trahison. La CNT dite de Bordeaux, si elle n’ignore pas ce contexte possiblement favorable, préfère s’en tenir à une stratégie plus orthodoxe, que d’autres nommeront dogmatisme, sectarisme, ou pis encore… Il est vrai que les plus remarquables références libertaires peuvent parfois devenir mythologies inefficaces. Il est exact qu’une stratégie d’ouverture mal contrôlée ouvre la porte à toutes les dérives. Comment évoluer en restant cohérent et sans vendre son âme ?

Dans cette histoire, il n’y a ni bons ni méchants, seulement deux stratégies qui s’affrontent. Cela valait-il une scission ? La recherche d’une synthèse entre les deux parties eut sans doute été préférable afin de chercher une cohérence à une CNT qui a peut-être peur de grandir… Il eut fallut appréhender sereinement les questions que posent le développement de la CNT (en terme) de bilan mais aussi d’objectifs ; le contexte de ce développement ; une éventuelle stratégie d’ouverture pouvant impliquer quelques entorses aux principes libertaires (lesquelles ? Pourquoi ? Comment ? Jusqu’où ?) avec en parallèle la nécessité d’une fidélité et d’une affirmation claire dans les textes, dans l’action et le fonctionnement de ce qui fait sa spécificité : la référence explicite au communisme libertaire.

Le divorce est consommé, il y a désormais deux CNT en France.

Espérons que l’histoire récente de la CNT d’Espagne ne s’exporte pas en France, la confrontation et le débat sont des armes dans l’union mais peuvent être un poison mortel dans la discorde.

Une chose est de plus en plus claire pour tout le monde : le communisme n’a pas échoué puisqu’il n’a jamais été appliqué (ou si peu). Et si le communisme ne pouvait être que libertaire ? Une brèche est ouverte, jetons-y toutes nos forces.

Bruno Daraquy


[1Trois fois plus que l’UGT d’obédience socialiste.