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L’Italie et le terrorisme

Le jeudi 15 mai 1997.

Depuis plus d’un mois, suite à la découverte de documents abandonnés par les services secrets, l’État italien se trouve confronté à son vieux démon : le terrorisme.

Ainsi, ce que nous savions depuis le début, le massacre de la Piazza Fontana à Milan, le 12 décembre 1969, causant la mort de 17 personnes et 88 blessés, était l’œuvre des services secrets italiens. Cet attenta meurtrier, parmi d’autres perpétrés à l’époque, et qui fut attribué aux anarchistes, fut « pensé à un haut niveau » comme le confirme le témoignage d’un militaire, le général Nicola Falte, mort il y a un an. Cette stratégie, classée dans les « affaires réservées » de l’État italien, orchestrée par les services secrets militaires (SID) entendait créer une situation de chaos, propice à un coup d’État. Selon ces mêmes documents, les liens entre services spéciaux, hommes d’affaires et groupes néo-fascistes sont évidents. Selon le juge Salvini chargé de l’enquête pour le compte de la commission parlementaire mise en place afin d’éviter un nouveau scandale, « Pour la Piazza Fontana, l’État savait » (La Republica, 30 avril 1997). Ainsi, après plus de 25 ans de négation de la part des gouvernements successifs, il se vérifie ce que les anarchistes dénoncèrent au cours de campagnes de solidarité envers nos camarades emprisonnés, en particulier Pietro Valpreda. Giuseppe Pinelli, cheminot, militant anarchosyndicaliste, fondateur et animateur de Croce nera anarchica, le comité de soutien aux camarades emprisonnés paya de sa personne sa dénonciation du Massacre d’État. Il fut défenestré du commissariat de police, le 15 décembre soit trois jours après l’attentat de Milan.

Pourquoi les anarchistes ?

Selon les déclarations écrites d’un repenti néo-fasciste employé par les services spéciaux, les anarchistes faisaient de bons coupables. « On me faisait clairement entendre que les anarchistes n’avaient rien à voir et qu’ils avaient été pris comme bouc émissaires de cette situation grâce au fait que par leurs antécédents de jeteurs de bombes, une accusation de ce genre serait crédible, mais qu’en réalité les attentats de Milan et de Rome avaient été pensés et commissionnés en haut lieu » (La Republica, 30 avril 1997). Toujours selon cette enquête, une police parallèle constituée par des forces militaires serait à l’origine de cette stratégie. Ce qui expliquerait les différents complots découverts ces dernières années (Gladio, loge maçonnique P2…).

Nouvelle manipulation ?

Quelques jours après ces ultimes révélations de la presse confirmant la nature terroriste de l’Etat italien, le 25 avril, jour anniversaire de la libération du joug fasciste, et précédent de peu les élections municipales, un pétard mouillé brisait une fenêtre de la mairie de Milan. La presse s’emparait de cette affaire pour détourner ses lecteurs des massacres d’État et désignait à partir d’une dépêche fournie par les enquêteurs de police, le coupable : « c’est une anarchiste » (La Républica, 30 avril 1997). Il s’agirait du groupe Azione Revolutionaria, groupe anarchiste disparu à la fin des années 70. Le juge d’instruction chargé de cette affaire contre la mairie de Milan, démentait aussitôt, indiquant qu’une « fuite » « serait due aux carabiniers de Rome » (La Republica, 30 avril 1997).

Une revendication parvenait néanmoins le 1er mai à Radio popolare de Milan, où le dit groupe s’attribuait l’action en question (La Stampa, 1er mai 1997). Selon le directeur de Radio popolare, radio animée par des ex-gauchistes, « M’étant informé auprès de quelques amis anarchistes, leurs témoignages concordent : tous se sont montrés sceptiques » (Corriere della Serra, 1er mai 1997). Si, depuis, la police italienne a déployé tous ses efforts, en vain, pour retrouver les véritables auteurs de cette opération, un silence total est tombé sur cette affaire, la presse ayant par ailleurs abandonné toute investigation sur les massacres d’État. Élections oblige…

La face cachée du gouvernement de gauche

Ainsi, une fois de plus, il semble que nous assistions en Italie à une nouvelle tentative de criminalisation du mouvement anarchiste, menée déjà depuis quelques mois. Prochainement devrait avoir lieu le procès d’anarchistes accusés de multiples méfaits, sans qu’il soit encore possible de connaître la réalité des incriminations, hormis celles émises par les enquêteurs de police et la presse à sensation. Dans une période où l’Italie connaît de graves difficultés dans sa marche forcée pour digérer les accords de Maastricht, le gouvernement social-démocrate tente par tous les moyens de détourner l’attention des travailleurs de la question sociale, et de masquer la corruption étatique. Dernièrement, en France, la justice italienne réclamait l’extradition d’un sociologue italien de quarante cinq ans, vivant à Marseille depuis… 1961. Ancien militant du Parti communiste français, il serait soupçonné d’être l’instigateur d’un attentat ayant coûté la vie au poseur de bombe, un anarchiste (!), en 1989, et appartenant à « l’organisation révolutionnaire anarchiste insurrectionnaliste ». Ce sociologue, qui ne comprend rien à l’affaire, a tout de même été arrêté. Militant actif auprès des quartiers difficiles de Marseille, il a déclaré devant la cour d’Appel d’Aix-en-Provence : « Je ne connais pas les raisons qui poussent la justice à m’accuser. Je n’ai jamais appartenu à aucun groupe anarchiste et je n’ai pas de sympathie pour le terrorisme » (Le Monde, 23-24 mai 1997).

Le gouvernement de gauche (ex-PC) confronté aux dures réalités du pouvoir qui consiste à faire payer le prix fort aux travailleurs, son entrée dans l’Euro, récemment mise en doute, tenterait-il d’user des méthodes mafieuses de ses prédécesseurs démocrates-chrétiens et néo-fascistes ? Nous sommes, nous les anarchistes, disposés à le croire.

Dernièrement, devant la montée des luttes sociales sous l’impulsion des syndicats autogérés et des comités de base, les trois centrales de gauche (UIL, CISL, CGL), avec l’appui du gouvernement et des médias berlusconiens, ont tenté de « renouer avec la jeunesse » en organisant un concert géant rassemblant 50 000 personnes le 1er mai à Rome. Mais ils ne nous feront pas oublier les compromissions et les trahisons faites au nom de la classe ouvrière.

Jean-Charles Canonne