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Lecture

Résister !

Adret
Le jeudi 15 mai 1997.

Il y a une vingtaine d’années, le collectif Adret publiait un livre qui devait faire date. Son titre, Travailler deux heures par jour, apparaissait comme une provocation dans une société non encore gangrénée par le chômage de masse et la précarisation généralisée : il montrait, par des exemples saisissants, l’actualité de la revendication « travailler beaucoup moins, vivre beaucoup mieux », systématisée (comme Adret le soulignait) dès le début du siècle par Kropotkine dans La conquête du pain [1].

Vingt ans après, Adret récidive [2]. Le sujet est légèrement différent, mais la méthode est la même : faire raconter des expériences d’entraide, de résistance quotidienne à une société étouffante, par celles et ceux qui vivent ces expériences. Des petits riens, comme vous en connaissez sûrement près de chez vous. D’ailleurs, les membres d’Adret reconnaissent volontiers n’avoir pas eu à chercher bien loin pour recueillir ces témoignages. La plupart d’entre eux sont inédits, même si certains avaient déjà une certaine notoriété (l’extraordinaire histoire d’amour entre l’orchestre de Lille et une école « difficile » de Roubaix circule depuis un certain temps dans les milieux musicaux).

Le choix est assez éclectique, depuis la renaissance d’un village en Ardèche à la création d’associations en zone « chaude », en passant par l’aide au logement ou le travail de conteurs contre le racisme et l’exclusion.

Échantillon d’initiatives, d’individus non résignés, parcelles de vie et de beauté arrachées à un quotidien désepérant…

Le danger serait évidemment de faire croire que « la » solution à la crise sociale réside dans ces initiatives qu’il suffirait, en quelque sorte, de multiplier. Mais les rédacteurs de Résister ne sont généralement pas dupes. Très peu se posent en exemple, et la plupart sont conscients de la portée souvent limitée en temps, en nombre ou en profondeur des résultats obtenus : on ne règlera évidemment pas le problème global de l’enfance en difficulté à grands coups de promenades dans les montagnes sahariennes, de même qu’on ne fera pas un Paradis des quartiers en détresse en emmenant leurs enfants écouter du Malher (même dans les meilleurs fauteuils d’un vrai théâtre). Il reste que Résister nous rappelle que, pour verrouillé que prétend être le système en place, il est toujours possible de lutter au quotidien, avec des résultats ponctuels mais tangibles.

Ce livre mérite donc notre attention à (au moins) deux titres : c’est un puissant antidote contre la résignation et le découragement ; et c’est surtout le rappel, n’en déplaise aux idéologues des lois de la jungle ou de l’État, de la puissance de l’entraide comme moteur dans une société, même inégalitaire. Qu’en serait-il alors dans une autre société ?

François Coquet


[1voir également l’article de Laurent Fouillard : C’est bien dommage de travailler dans la brochure « Analyses et propositions anarchistes sur le travail », éd. du Monde Libertaire, disponible à la librairie du Monde libertaire (145, rue Amelot, 75011 Paris).

[2Résister, Ed. de Minuit, disponible également à la librairie du Monde libertaire.