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Sans-papiers

Vacance de régularisation dans les préfectures

Le jeudi 18 septembre 1997.

Deux mois et demi après la circulaire de régularisation de Chevènement, un mois et demi avant la clôture de la procédure, le bilan est vite fait : 89 482 demandes ont été enregistrées dans les préfectures et environ un millier de titres ont été délivrés. Quant aux refus, ils seraient pour l’instant peu nombreux, mais les chiffres n’ont apparemment pas été communiqués. Cela corrobore ceux relevés dans les différents comités de sans-papiers. Ainsi, sur les 250 dossiers déjà déposés à Lille par le Comité des sans-papiers 59 (alors que 250 autres sont déjà en attente auprès du Comité et environ un millier de demandes au total sont arrivées entre les mains du préfet), 80 personnes ont reçu des convocations et moins d’une vingtaine de récépissés de titres de séjour ont été délivrés (et seulement à des familles, pas aux célibataires). Dans la Seine-Saint-Denis, le collectif du 93 n’a recensé que six titres délivrés sur les 6 000 dossiers qu’il a déposés en préfecture (sur 30 000 demandes dans le département)
 [1] !

Tous les collectifs enregistrent des résultats sensiblement équivalents : entre aucune convocation et quelques dizaines de régularisations. Il y a bien sûr une part de responsabilité de l’appareil bureaucratique : ainsi la préfecture des Hauts-de-Seine impose trois entrevues minimum espacées d’un mois pour chaque dossier. Des convocations à une première entrevue sont données pour décembre 1997, et d’autres pour les convocations suivantes s’étalent jusqu’en 1998.

Le cas lillois

La mauvaise volonté des préfectures semble évidente aux yeux des sans-papiers. À Lille, c’en est presque de l’acharnement. Ainsi, lors d’une entrevue avec la préfecture du Nord le 13 juillet, tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes : le préfet l’avait promis, il serait souple dans son application de la circulaire et des critères ; on pourrait toujours s’arranger, discuter sur les dossiers difficiles. Mais depuis : rien. Pas de contact, pas d’entrevue, pas de négociation, et même pire : le préfet a fait savoir en juillet qu’il avait déjà jeté près de 40 % des demandes à la poubelle à la simple lecture de la lettre de motivation, sans convocation aucune : les personnes concernées ne rentreraient pas dans le cadre d’une régularisation. Mais aucun refus n’a encore été officiellement prononcé.

Pendant ce temps, les grandes manœuvres avaient commencé autour du comité. Fin juin, Bernard Roman, député PS et conseiller municipal à Lille s’est présenté à la MNE, le local occupé par les sans-papiers depuis décembre. Il était plein de bonne volonté : il ferait le relais entre la préfecture et les sans-papiers pour les personnes sans logement hébergées à la MNE.

Le but est évident : il fallait se débarrasser d’une occupation gênante en vidant le lieu de ses habitants. Dans le même temps, le Conseil d’administration de l’Oglanel, l’organisme qui gère la MNE, posait un ultimatum au comité : celui-ci devait avoir vidé les lieux avant le 31 juillet. Il déclara que la seule date envisageable pour l’arrêt de l’occupation était au mieux le 1er novembre, fin de la procédure. Et il programma une fête pour le 31 juillet à la MNE, histoire de s’assurer du monde en cas de coup de force.

Au même moment, le sous-préfet en charge de la police se fendait d’une interview diffamatoire et ridicule dans la presse locale : les membres du comité doivent prendre garde, aucun moyen de pressions ne fera selon lui avancer plus vite les régularisations. Il est même menaçant : cela pourrait bien bloquer des dossiers ; une occupation illégale, par exemple, pourrait être constitutive d’un « trouble à l’ordre public »…

Le bureau de l’Oglanel convoque la presse, somme la mairie (propriétaire des murs) de prendre ses responsabilités, interdit la fête, et menace de démissionner… Il convoque une AG extraordinaire le 31 juillet qui réunit à peine une vingtaine de représentants des quelques soixante-dix associations qui constituent l’Oglanel. Et cette AG vote la condamnation du comité des sans-papiers, la fermeture au public du lieu, elle somme la mairie de faire vider les lieux et accepte la démission du bureau qui « refuse d’assumer la responsabilité de l’occupation ». Bel exemple de politique spectacle.

Depuis, les sans-papiers sont toujours à la MNE ; la mairie n’a toujours pas décidé de les vider par la force. Mais le 3 septembre, Pierre Mauroy leur écrivait qu’après la circulaire de régularisation, et avec « une nouvelle loi plus juste et plus humaine » comme celle que prépare Chevènement, l’occupation n’avait plus lieu d’être.

Pourtant ; sur les quatre familles et la vingtaine de personnes qui vivent à la MNE, seule deux familles ont été régularisées et ont obtenu un logement grâce à la mairie.

Pourtant, il reste encore des centaines de personnes qui attendent leur première convocation et d’autres viennent sans cesse rejoindre le comité.

Un mouvement tenace

Pourtant, l’abrogation des lois anti-immigrés n’est plus à l’ordre du jour (post-électoral). Et le projet de loi Chevènement est par bien des aspects encore plus dur que la loi Debré.

Pourtant Saint-Bernard continue la lutte (malgré des tentatives souterraines d’obtenir son silence) et a occupé mercredi 11 septembre le siège du Mouvement des citoyens.

Pourtant, à nouveau, des voix se font entendre qui exigent la suppression des lois racistes en France.

Mais il paraît que la liberté de circulation et d’installation, l’ouverture des frontières, ce sont des vues ultra-libérales.

Alors Jospin, Mauroy, Aubry, Chevènement, Hue et Voynet (qui trouve que l’abrogation des lois racistes n’est qu’un symbole) ont décidé de lutter fermement contre le libéralisme. Avec des haches, des charters, des emplois-jeunes, des privatisations, Schengen, Maastricht et la monnaie unique ?

Chaque vendredi de 21 h à 21 h 30, les sans-papiers de Lille animent une émission sur Radio Campus (106,6).

Chaque mercredi à 18 heures, rassemblement des sans-papiers devant la préfecture du Nord, place de la république à Lille.

Bertrand Dekoninck
groupe Humeurs noires (Lille)


[1Dans les autres collectifs : Ardèche, 200 lettres déposées, aucune régularisation ; Orléans : 300 lettres, 1 convocation ; Angoulême, 20 lettres, aucune régularisation ; Bordeaux, 103 lettres, 10 régularisations, 50 convocations ; Strasbourg, 186 lettres, 10 régularisations, 3 rejets ; Tours, 100 lettres déposées, une carte de dix ans pour une victime de la double peine ; Toulouse, 200 lettres, 15 régularisés ; Yvelines, 250 lettres, aucune régularisation.