Accueil > Archives > 1997 (nº 1065 à 1104) > 1093 (25 sept.-1er oct. 1997) > [PCF : la schizophrénie politique avancée]

PCF : la schizophrénie politique avancée

Le jeudi 25 septembre 1997.

« Une exigence raisonnée dans la durée »… Hue a donc fait sienne la maxime de Jospin, prononcée lors de son discours d’investiture de premier ministre. Voilà l’explication politique à la participation au gouvernement du PCF. L’identité communiste se démarquerait ainsi de la socialiste par la « rapidité nécessaire pour mettre en œuvre la transformation sociale dont a besoin notre société ». Comme nous sommes à l’ère de la vitesse, Gayssot, ministre des Transports, accélère lui aussi car il faut « aller de l’avant désormais sans regarder dans le rétroviseur », comme il l’a déclaré lors de la fête de l’Humanité. « Un des derniers lieux populaires, de tolérance, comme l’ont été les Journées mondiales de la jeunesse », selon le sentiment d’André Lajoinie. Avec tout cela, il est difficile de faire mieux dans le ridicule ou la fuite… en avant.

Du passé faisons table rase

N’étant pas des anticommunistes primaires, essayons, derrière le fatras idéologique, de voir où en est le PCF et où il va. Il était évident que la fin du cauchemar, baptisé socialisme réel en URSS et dans ses pays satellites de l’Est, allait entraîner un repositionnement des PC d’Europe. Le stalinisme, ce monstre de pensée monolithique, a tout écrasé, notamment toute opposition de gauche, ainsi que le courant anarchiste. Sa mort n’a laissé place qu’à un pragmatisme réel s’accommodant fort bien de l’économie de marché. Aujourd’hui, les anciens apparatchiks communistes de l’URSS gèrent un capitalisme sauvage, souvent à leur propre profit, utilisant même la mafia. Certes, la direction du PCF n’en est pas à ce stade. Mais, peu à peu, elle glisse vers l’acceptation des lois du marché malgré son discours auparavant antimaastrichtien. Il est bon de renier le stalinisme, mais de là à courtiser Wall Street… Plus que le simple fait d’avaler de belles couleuvres, c’est donc bien vers une orientation « libérale » que tend le PCF.

L’acceptation du patronat, des privatisations, des réalités économiques, de la concurrence, fait désormais partie de la panoplie pragmatique communiste. Car « le parti communiste n’a pas l’intention de se comporter en spectateur… il est à part entière force de proposition et d’action pour le changement » (Robert Hue à la fête de l’Humanité). Derrière ce beau discours ronflant, aucune réflexion sur le cadre et la nature de cet agir ni sur les degrés de changement. Bayrou ou Léotard tiennent d’ailleurs ce même langage à leurs troupes.

Face à une partie de ses militants qui refuse ce virage, Hue rétorque « un gouvernement de gauche plurielle avec un PCF à 10 % ne peut faire le programme du parti communiste » ! Réponse nulle à deux niveaux. Premièrement, un pourcentage mathématique ne peut résoudre un questionnement sur le sens d’une stratégie : le politique ce n’est pas de la gestion comptable. Ensuite, cette réponse contient en elle-même l’aveu de l’impasse où mène le combat purement électoraliste du PCF.

Le PCF, cela est clair, est sur une corde raide. Donner en même temps des gages à Jospin et à une base déboussolée, cela relève de l’art du dédoublement politique. L’Humanité sait fort bien le faire en couvrant d’éloges aussi bien Lady Diana « princesse des pauvres » que le Che ! Historiquement, le PCF s’est déjà trouvé dans ce genre de situation et a su s’en sortir… détruisant un peu plus à chaque fois le potentiel révolutionnaire chez les exploités. À l’heure actuelle, ce parti se partage, grosso modo, en trois courants. Le plus important est celui des « modernistes », ce qui en langage décrypté veut dire sociaux démocrates. On les appelle aussi « huistes » ! Ensuite, très minoritaires, viennent les « orthodoxes » c’est-à-dire les staliniens (Maxime Gremetz en est le chef de file). Bien qu’ils soient nostalgiques des heures les plus sombres de ce qui fut appelé communisme, ils ont actuellement un atout : leur réflexe lutte de classe. Avec les jours à venir et les promesses oubliées, ils risquent d’agrandir leur audience et d’être l’opposition la plus sérieuse à Robert Hue. Enfin, l’autre minorité est celle des « refondateurs ». Leur créneau serait de faire la synthèse entre communisme et modernité. Un super flou idéologique, bien sûr, mais qui a au moins le mérite de se poser en recherche. Farouches partisans du front populaire, comme l’a indiqué leur maître à penser Claude Martelli, historien et membre du comité national (Libé du 15 septembre), ce sont eux qui œuvrent pour le fameux « pôle de radicalité » comme lors de l’élection de Roger Mei à Gardanne. Oui, ce conglomérat de gauche et d’extrême gauche à Gardanne a permis de vaincre le FN mais, au-delà de ça, aucun projet social cohérent n’est présenté et l’électoralisme serait encore l’arme favorite pour renverser le capitalisme !

Le oui mais est plus rentable que le non mais

Le PCF a renoncé depuis belle lurette à toute révolution sociale, notamment pour la sauvegarde à tout prix de l’appareil du parti. Lui aussi a tiré les leçons de son expérience mitterrandienne. Sa retraite du gouvernement après 1984, suivie d’un soutien critique, n’a fait qu’aggraver son déclin. Côté protestataire, le FN lui dame désormais le pion, y compris dans la classe ouvrière. Pour se maintenir, sa seule solution est de coller désormais à la social démocratie en épousant peu à peu ses thèses. Le PCF est coincé. Il ne peut pas, comme le PC italien, occuper la niche social démocrate inhabitée par un PSI (faible et totalement discrédité par les scandales financiers) parce qu’en France cette place est complètement occupée par un PS fort. Ni non plus peut jouer la « refondation communiste » sous peine de se retrouver exclu, comme en 1984, du jeu politique. Quand à une véritable rupture, elle le mettrait totalement en porte-à-faux avec son « combat anti-FN », si utile pour se donner des allures anticapitalistes. Le PCF est donc condamné au « oui mais » pour longtemps.

Sa volonté de créer des listes d’union de la gauche pour les prochaines élections régionales est la preuve vivante de cette stratégie de suivisme vis-à-vis du PS, alors qu’il prône depuis longtemps les bienfaits de la proportionnelle intégrale ! Le danger du FN sera bien sûr mis en avant, face aux camarades réticents, pour expliquer cette pratique unitaire.

Bilan et perspectives

Ceux qui envisagent une rupture rapide du PCF, dans son contrat de gouvernement, à notre avis, se trompent. La contestation certes existe. Mais le fait de laisser les sensibilités s’exprimer permet aussi au PCF de faire croire, médiatiquement, à sa mutation. Ceux qui renâclent n’ont pas l’appareil en main. De plus, Hue est assez fin pour donner des gages à cette contestation de gauche quitte à pousser de grosses colères contre Jospin, faisant avaler par derrière les grosses couleuvres. Georges Marchais a été son professeur, ne l’oublions pas !

Les trotskistes de LO doivent être aux anges. Ils pensent certainement profiter de ce remue-ménage intérieur au PCF pour récupérer des militants. Mais, là encore, ce qui se passe est loin d’être nouveau, hélas, historiquement, et chaque virage du PCF n’a pas grossi pour autant les rangs trotskistes voire anarchistes. Pour Krivine et sa LCR, le slalom se complique. Après s’être fait jeté en juin par ses amis de la gauche plurielle, il montrait ces jours derniers patte blanche, « souhaitant la réussite du gouvernement »… Il va donc lui falloir repartir, cent pour cent à gauche… Très critique, assez critique, la ligne politique dépendra du succès ou non de ses aînés politiciens de gauche. Le goût du pouvoir nécessite bien cette subtile gymnastique ondulatoire…

En ce qui nous concerne, nous dirons assister à un énième tortueux virage du PCF qui, une fois encore, ne se fera pas sans dégâts internes limités. Pas mal de militants risquent de s’en aller par la petite porte, mais c’est une vieille coutume dans l’histoire de ce parti. Le seul aspect positif politiquement est que cette contestation de base montre, d’une part, qu’il reste une volonté anticapitaliste forte chez pas mal de salariés et que, de l’autre, ceux-ci en ont marre de confier leurs espoirs égalitaires à des politiciens fussent-ils communistes.

Gérer directement nos affaires, collectivement, en dehors de l’État et du patronat, afin de ne pas se faire plumer n’est pas une idée si éloignée de la réalité… Les sifflets essuyés par Robert Hue en sont la meilleure preuve.

Jaime
groupe Kronstadt (Lyon)