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Kabila : dictateur ou libérateur ?

Le jeudi 25 septembre 1997.

En quelques mois, Laurent-Désirée Kabila est passé de l’ombre à la lumière. Lui, le Lumumbiste, retranché au Katanga où il s’adonnait, dit-on, à quelques trafics juteux, a réussi quasiment sans combattre à se défaire de la dictature mobutiste et à s’installer à la tête d’un État en banqueroute dans lequel plus rien ne fonctionne. Salué par les uns comme un « libérateur », conspué par les autres qui le traitent d’« escroc » ou de « pantin » à la solde de puissances étrangères, la personnalité du nouveau chef zaïrois est à l’évidence très controversée.

Kabila l’opportuniste

Tous les observateurs s’accordent pour dire que Kabila seul, avec sa maigre guérilla, n’aurait pu mener à bien son combat anti-Mobutu. Il n’a fait que saisir une opportunité historique à plusieurs titres :

  • s’appuyer sur le ras-le-bol d’une population s’enfonçant dans la misère et s’apercevant que le régime mobutiste était à bout de souffle et l’opposition légaliste sans perspectives,
  • encadrer la révolte des Banyamulengue d’origine tutsie,
  • trouver des convergences d’intérêt avec le Rwanda d’une part (qui voulait en finir avec les camps de réfugiés hutus installés à la frontière, camps dans lesquels les anciens génocideurs préparaient une reconquête du Rwanda) et les États-Unis de l’autre (bien contents de fragiliser encore plus le pré-carré français et disposant, de plus, du relais sud-africain pour incarner diplomatiquement la « voix de l’Afrique moderne »).

L’homme est donc habile. Il a su jouer de son prestige d’antan et du fait qu’il n’a jamais collaboré avec Mobutu. Ajoutons également que, selon nous, il a fait le bon choix tactique : celui de la guerre de libération sans concession, ni avec un Mobutu délégitimé (mais toujours redoutable) ni avec une opposition pour une grande part reconsidérée (parce que dirigée par des leaders avides de pouvoir, corrompus et capables de retourner leurs vestes du jour au lendemain). Le soutien que lui ont accordé les États-Unis et l’Afrique du Sud signifie également que des multinationales anglo-saxones vont investir beaucoup d’argent pour remonter une infrastructure économique défaillante (on parle d’un « mini plan Marshall » pour le Zaïre).

Kabila l’autoritaire

S’il jouit pour l’heure d’un crédit important auprès d’une population trop souvent désabusée par la classe politique, Kabila ne pourra pas compter longtemps sur cet état de grâce. Le peuple attend des réponses rapides à ses problèmes (tout le secteur éducatif, sanitaire et social est hors service) et ne se contentera pas de discours classiques fustigeant la corruption de l’ancien régime et encensant la rigueur morale du nouveau.

Concernant la politique économique, le programme de l’Alliance des forces démocratiques de libération ne lève pas les ambiguïtés : s’ils sont tous unis pour ressortir la symbolique nationaliste des années 60 (Zaïre rebaptisé « République démocratique du Congo »), ils se divisent entre options « nationaliste » et ultralibérale. De toute façon, Kabila n’aura guère le choix : le pays est dans un tel état de décomposition qu’il lui faudra bien accepter les diktats des multinationales prêtes à investir dans un pays où la corruption massive était de règle.

Sur le front politique, Kabila a pour l’instant écarté les gêneurs : parmi ceux-ci, on compte bien évidemment des politiciens véreux, mouillés jusqu’au cou dans le mobutisme… mais on compte aussi un homme, Etienne Tshishekedi, qui passe pour un vertueux. Vieil opposant au mobutisme, président de l’Union pour la démocratie et le progrès social, Tshishekedi s’est imposé comme le leader de l’opposition démocratique. Ennemi juré de Mobutu, il est devenu aussi celui de Kabila depuis que, emboîtant le pas d’une classe politique aux abois, il s’est mis à fustiger les « envahisseurs rwandais » menaçant le Zaïre ! Il est aujourd’hui le principal danger pour Kabila et beaucoup rêvent, déjà, d’une alliance nationale entre hommes pour « unifier le pays ».

Autre problème à résoudre pour Laurent-Désirée Kabila : la place des Tutsis dans l’appareil politique. En instaurant le parti unique, il a mis dans le même sac les mobutistes (qui ont formé les Forces politiques du conclave) et les opposants qui ont lutté durant dix ans au sein de la Conférence nationale souveraine pour une transition en « douceur » (à cela s’ajoute le fait que 15 des 20 ministres sont des « émigrés » nouveaux en politique, ce qui symbolise la défiance du nouveau régime à l’égard de la classe politique du pays !) ; en installant des Tutsis à des postes clés du gouvernement, il va renforcer un sentiment de haine présent dans les élites comme dans le peuple à l’égard de cette communauté que certains refusent de voir comme « zaïroises ». Et on sait où mène l’utilisation politicienne de la question identitaire !

À première vue, le régime de Kabila apparaît bien fragile. Certes, il bénéficie de l’appui américain et de ses dollars, mais parallèlement, son organisation est pétaudière dans laquelle s’affrontent différents courants qui ne se sont unis que pour en finir avec l’ancien régime. Certes, il apparaît pour l’heure comme celui qui a fait tomber une dictature sanglante vieille de trois décennies, mais s’il s’avère que sa marche sur Kinshasa s’est traduit comme on le craint par le massacre de milliers de réfugiés hutus, il perdra très rapidement sa crédibilité et ses alliés extérieurs.

En fait, la seule certitude que l’on ait, est la suivante : la survie du régime de Kabila dépendra de la volonté américaine d’installer à Kinshasa un pouvoir capable d’y faire régner l’ordre, la stabilité, la discipline… conditions indispensables au développement de l’économie de marché !

Patsy
cercle Bakounine